Risquant un blocage en Russie, la version russe de Wikipédia est de plus en plus téléchargée en hors connexion dans le pays. Un accès hors ligne permettant d’éviter une éventuelle censure, mais qui se fera au prix d’un projet « figé ».

Les internautes russes sont-ils en train de sentir le vent tourner pour Wikipédia ? En tout cas, la crainte d’un blocage de l’encyclopédie libre et gratuite en Russie pousse un nombre croissant de Russes à prendre les devants en téléchargeant une version hors ligne du projet. C’est ce que révèlent de récentes statistiques, compilées le 21 mars 2022 par Slate.

Ainsi, un fichier de 29 Go contenant une déclinaison en russe de Wikipédia a été téléchargé presque 106 000 fois au cours des quinze premiers jours du mois de mars 2022. Selon nos confrères, il s’agit d’une hausse de 4 000 % par rapport aux deux premières semaines du mois de janvier. Tout a changé, en somme, avec l’invasion militaire de l’Ukraine, le 24 février.

Cette intense activité a propulsé la Wikipédia russe en tête des déclinaisons du projet les plus téléchargées — et la Russie sur la plus haute marche du podium des pays. Sur la plateforme Kiwix, qui fournit des ressources permettant de télécharger Wikipédia, il a été constaté que le trafic russe représente actuellement 42 % de tout son trafic, contre 2 % en 2021.

Une différence de 4 000 % dans les téléchargements en deux mois

Wikipédia est encore accessible en Russie, mais le site web ainsi que les projets connexes pourraient être frappés d’un ordre de blocage émanant d’un tribunal ou bien du régulateur local, Roskomnadzor, dont le rôle est de superviser les médias, la communication et les technologies de l’information. Il s’est illustré en particulier en censurant Facebook, Netflix et Twitter.

En date du 22 mars, NetBlocks, qui pilote un observatoire de la liberté d’accès à Internet, n’a fait état d’aucune perturbation ou interruption particulière de l’accès à Wikipédia en Russie. Depuis le 24 février, le site suit avec attention ce qui se passe dans le pays, mais également en Ukraine, en relevant tout incident affectant les sites et les internautes.

La Russie accuse Wikipédia de diffuser des mensonges

Si Wikipédia est encore accessible en Russie, cela pourrait ne pas durer, car le régulateur russe a justement mis en garde l’encyclopédie que sa lecture des faits en Ukraine ne correspond pas à la ligne du Kremlin. Pour le dire simplement, là où le monde entier parle de guerre, Moscou évoque une « opération militaire spéciale ». Et tout le reste est à l’avenant.

Début mars, les éditeurs de la version russe de Wikipédia s’alarmaient sur Twitter de l’avis du Roskomnadzor brandissant la perspective d’un blocage. En cause, selon lui, des informations fausses sur la guerre en Ukraine, le nombre de morts dans l’armée russe, les attaques contre les civils ukrainiens ou encore les dommages collatéraux. De la désinformation, selon le Roskomnadzor.

Ces menaces n’ont, pour l’instant, pas fait dévier Wikipédia de sa ligne de fonctionnement, y compris en Russie et en Biélorussie, malgré les risques que les bénévoles prennent en contribuant au projet sans suivre la ligne du Kremlin — le 11 mars, un important contributeur biélorusse de l’encyclopédie participative avait ainsi été arrêté.

L'Ukraine a légalisé les crypto // Source : Numerama
La Russie bannit largement tous les médias qui ne partagent pas son narratif sur la guerre en Ukraine. // Source : Numerama

« La Wikimedia Foundation travaille activement avec les communautés concernées afin d’identifier les menaces potentielles pour les informations sur les projets Wikimedia, et soutient les éditeurs et administrateurs bénévoles qui constituent la première ligne de défense contre la manipulation des faits et des connaissances », rappelait-elle par ailleurs, le 1er mars.

Les articles continuent d’être globalement actualisés au rythme de l’évolution des faits et par consensus, lorsque des sources fiables émergent. Compte tenu des risques de vandalisme et de guerres d’édition, des dispositions particulières ont dû être déployées néanmoins, pour éviter certains saccages. Certaines sources, comme Russia Today (RT), ont aussi été exclues, car non fiables.

Si Wikipédia risque d’être bloqué en Russie dans le cadre de la censure croissante qui a cours dans le pays, à cause de la manière de présenter le conflit, il convient de noter que les relations difficiles entre la Russie et l’encyclopédie ne datent pas de cette guerre. En 2015 par exemple, une passe d’armes était advenue entre les deux parties, avec le risque d’un blocage, sur des contenus jugés illicites.

Une version hors ligne insensible à la censure du net, mais figée

L’utilisation d’une version hors ligne de Wikipédia a l’avantage d’être insensible à toute forme de censure en ligne, puisque le projet existe localement, sans avoir besoin d’un accès à Internet. Mais cela a deux conséquences : d’abord, l’archive va souffrir d’une obsolescence croissante, faute de mise à jour. Ensuite, toutes les sources externes seront perdues.

La possibilité de télécharger Wikipédia pour consulter l’encyclopédie hors ligne existe depuis bien longtemps. Depuis le milieu des années 2000, on a vu une édition sur CD-ROM ou en distribution sur clé USB, mais aussi sous la forme d’un programme informatique à installer sur le PC (ou bien à imprimer si vous avez beaucoup, beaucoup de papier).

Aujourd’hui, la solution la plus commode pour récupérer Wikipédia (33 Go avec les images, 13 Go sans) est de passer par un client d’échange en pair à pair, comme QBitTorrent. Grâce au protocole BitTorrent, il est possible de répartir la charge du trafic entre toutes les personnes partageant le fichier, mais aussi de mettre en pause le téléchargement à tout moment.

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