C’est une nouvelle proposition qui arrive dans le débat public quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle française de 2022. Et si le prochain gouvernement mettait en place une incitation financière, pour que les Françaises et les Français retrouvent leurs vieux smartphones inutilisés, afin de les envoyer au recyclage ?
Cette perspective pourrait se concrétiser dans le cadre d’une victoire d’Emmanuel Macron lors du scrutin du 24 avril 2022.
Cette piste est proposée par l’équipe de campagne du président sortant, rapporte le journal Les Échos dans son édition du 18 avril. Elle est manifestement toute récente : elle est introuvable sur le site du candidat, avecvous.fr. Le programme de Macron n’en parle pas non plus. Le volet numérique aborde certes la question du recyclage, mais pour pointer ce qui a été fait.
La mesure apparait entrer dans un virage environnemental que le chef de l’État cherche à prendre lors de l’entre-deux-tours, avec plusieurs idées sur ce thème qui ont été lancées ces derniers jours dans la sphère publique — comme l’envie de mettre en place une « fête de la nature » chaque année (alors que cette initiative existe déjà par ailleurs).
Des métaux précieux dans les smartphones
Les contours du dispositif restent encore vagues. Cité par le quotidien économique, le camp LREM explique que « cette prime favorisera la collecte de ces objets qui sont aujourd’hui de véritables mines urbaines dans nos poches et dans nos tiroirs ». En somme, ce serait une manière de (re)valoriser de vieux téléphones, à deux niveaux.
Le premier concernerait le public, qui pourrait récupérer un avantage en retournant des mobiles inutilisés (ou même inutilisables). Le second bénéficierait à l’industrie au sens large, car en remettant potentiellement des millions de smartphones dans le circuit du recyclage, on pourrait ainsi accéder à de nombreux métaux que l’on pourrait ainsi re-exploiter.
Derrière leur coque en plastique, en verre ou en aluminium, les smartphones font appel à de nombreuses ressources dont certaines sont exotiques et rares. Certains noms, comme le cobalt, le tungstène, le cuivre, ou le lithium, vont sont peut-être familiers. D’autres, à l’image du gallium, du tantale, du niobium, de l’indium, du hafnium et du palladium, peut-être moins.
Toutes les pièces d’un smartphone utilisent des ressources plus ou moins rares. C’est vrai dans l’électronique de l’appareil, son écran, sa batterie, son étui. Si ces ressources ne sont pas toujours rares, contrairement à ce que leur nom suggère (métaux rares), elles sont en revanche plutôt dispersées dans la croûte terrestre et localisées à des endroits bien précis.
Jusqu’à 110 millions de téléphones délaissés en France ?
Combien de smartphones pourrait-on ainsi remettre dans le circuit, avec cette piste ? Difficile à dire. Selon l’Agence de transition écologique, il y aurait entre 54 et 110 millions de smartphones qui traînent dans les habitations, selon une estimation d’avril 2021. La fourchette est très large (elle passe du simple au double), signe de la difficulté de faire une estimation plus fine.
Outre le fait que deux tiers de ces smartphones sont généralement encore en état de marche, l’Ademe signale qu’un téléphone peut être recyclé à hauteur de 80 %. Il y aurait donc, sur la base de ces données, un potentiel significatif pour récupérer des métaux rares, même en se limitant à une estimation basse du nombre de mobiles délaissés dans les foyers.
Mise en place, la mesure pourrait agir sur trois tableaux :
Elle conforterait une politique pour l’économie circulaire. Les téléphones ont des trajectoires variées après quelques années : ils peuvent être revendus à un particulier ou à une entreprise qui les reconditionnera, donnés à une association ou à un proche, réparés pour prolonger leur carrière (d’où l’indice de réparabilité), ou être envoyés au recyclage.
Elle pourrait avoir une incidence favorable sur l’environnement. Les métaux rares déjà extraits et déjà employés dans les smartphones évitent d’aller en chercher dans le sol, avec tout ce que ça peut impliquer en matière de dégradation sur la faune et la flore et de pollution. Une partie des besoins pourrait être couverte par ces matériaux déjà « disponibles ».
Le troisième tableau est celui de la réduction relative à la dépendance étrangère : ces ressources précieuses doivent être importées et la crise du coronavirus a révélé, à travers le secteur de la santé avec l’affaire de la production de masques, toute l’importance de pouvoir disposer de ses propres capacités nationales, de son propre accès aux ressources.
Ce dernier argument figure d’ailleurs dans le plan France Relance, avec la question de la sécurisation des approvisionnements clés. Diminuer la dépendance de la fabrication électronique française et européenne vis-à-vis des pays tiers constitue l’un des axes de ce programme. Et pour fabriquer de l’électronique, il faut avoir des matériaux spécifiques.
Une idée environnementale aux contours à préciser
Le chiffrement de la mesure avancée par l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron reste à déterminer. L’équation nécessite en tout état de cause de trouver un équilibre entre une incitation suffisante pour le public, un intérêt économique pour le secteur, mais aussi le nombre de smartphones qui pourraient être récupérés et la capacité du secteur à absorber ce potentiel surplus d’appareils.
Si la démarche donne de bons résultats, elle pourrait faire tache d’huile. Pourquoi, alors, ne pas faire de même pour tous les objets connectés que l’on reçoit et dont on ne se sert pas, mais aussi pour les ordinateurs, les moniteurs, les tablettes, les périphériques en tout genre, les téléviseurs ? Dans ces objets aussi, des ressources rares sont employées.
La proposition formulée par le camp LREM n’est en tout cas pas tout à fait neuve dans le débat public. On trouve des pistes approchantes dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, avec des formulations toutefois plus larges sur la création un réseau national de déchèteries, le recyclage et plus généralement la mise en place d’une France zéro déchet.
La concrétisation de cette mesure dépendra de l’issue de l’élection présidentielle, d’abord, et de son parcours législatif ensuite. Et de la manière dont l’idée sera reçue par le public, enfin. En attendant, il faut tout de même noter que le recyclage des smartphones existe déjà. Il ne vous apporte certes rien, mais il est gratuit. Pensez juste à effacer toutes vos données.
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