La Centrafrique est devenue le deuxième pays au monde à accorder un statut de monnaie légale au bitcoin, après le Salvador. Un changement qui survient alors que le pays n’est pas considéré comme prêt pour une telle bascule.

Après le Salvador, c’est au tour de la Centrafrique de basculer dans le monde des cryptos. Le pays a officiellement reconnu le bitcoin comme une monnaie légale le 27 avril 2022, à la surprise générale. Contrairement au Salvador, dont le président avait vanté pendant des mois son projet de transformation du pays par le bitcoin, en Centrafrique, la décision a été prise sans grande publicité préalable.

La loi a été votée « à l’unanimité » par l’Assemblée nationale, selon l’AFP. Il n’est pas précisé dans la dépêche quand la loi entrera en application et à quelle date les bitcoins pourront effectivement être utilisés comme moyen de paiement. Mais d’ici à que les premières transactions en bitcoin n’arrivent, la loi soulève déjà beaucoup de questions.

Le pays n’est pas jugé prêt pour cette bascule

La loi « a pour objet de régir toutes les transactions liées aux cryptomonnaies en République centrafricaine […] effectuées par les personnes physiques ou morales, publiques ou privées », est-il expliqué. Les activités de commerce en ligne sont aussi concernées, ce qui veut dire que les Centrafricains et les Centrafricaines pourront choisir de régler en bitcoin leurs achats en ligne. La loi indique également que « toutes les transactions électroniques » et les « contributions fiscales » sont concernées, et que « les échanges en crypto-monnaies ne sont pas soumis à l’impôt ».

L’adoption d’une telle loi en Centrafrique peut sembler étonnante : les crypto-monnaies nécessitent un accès à Internet pour être utilisées. Or, il n’y a qu’une minorité d’habitants dans le pays qui sont connectés. Une étude de Hootsuit parue en 2021 estimait que seulement 11,4 % de la population de Centrafrique était connectée à Internet — l’étude ne précisait pas s’il s’agissait d’un accès mobile, par smartphone, ou bien par ordinateur.

Le drapeau de la Centrafrique // Source : Jonoro / Pixabay
La Centrafrique rejoint le Salvador sur le terrain des cryptos. // Source : Jonoro / Pixabay

Outre le sujet de la possession d’un smartphone, il y a un autre préalable à satisfaire : posséder un portefeuille crypto. C’est un élément essentiel pour effectuer des paiements en bitcoin. Au Salvador, la situation autour de l’adoption du bitcoin comme monnaie légale avait été bien différente. Il s’agissait d’un projet particulièrement important pour le président salvadorien, Nayib Bukele, qui en avait fait la promotion pendant des mois. Le pays avait également développé un portefeuille crypto gratuit pour ses habitants, Chivo, qui offrait en plus l’équivalent de 30 dollars aux utilisateurs.

En Centrafrique, rien de tout cela n’a été fait. Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que les paiements par bitcoin puissent réellement être un succès dans un futur proche. L’adoption du bitcoin n’a peut-être même pas été mue par un véritable engouement pour les crypto-monnaies : des observateurs estiment que la Russie a utilisé son influence dans la région afin de faire passer cette loi.

Francs CFA, Bitcoin et Russie

La Russie joue en effet un rôle important en Centrafrique. Le pays est miné depuis 2013 par une guerre civile, et depuis 2020, des paramilitaires russes soutiennent le président actuellement en poste contre les différents groupes rebelles. Le gouvernement de Centrafrique s’appuie donc beaucoup sur la Russie pour assurer sa stabilité.

La république de Centrafrique a reconnu le bitcoin comme monnaie légale // Source : Wikimedia Commons
La république de Centrafrique, au centre, a reconnu le bitcoin comme monnaie légale // Source : Wikimedia Commons

« Le contexte, avec une corruption systémique et un partenaire russe sous sanctions internationales, incite à la suspicion », a indiqué à l’AFP Thierry Vircoulon, un spécialiste de l’Afrique centrale à l’IFRI (l’Institut français des relations internationales), d’autant plus que la Russie chercherait, selon lui, des « voies de contournement des sanctions financières internationales ». Les institutions financières craignent en effet que la Russie n’ait recours aux crypto-monnaies pour atténuer le poids des sanctions, imposées en réponse à son invasion de l’Ukraine.

À cela s’ajoute une défiance de plus en plus accrue envers l’autre monnaie légale, le franc CFA — un legs de l’époque coloniale française. Le franc CFA est toujours aujourd’hui largement contrôlé par la France : la monnaie est indexée sur l’euro, les billets sont imprimés en France, et les banques centrales de certains pays utilisant le CFA (dont la Centrafrique) doivent toujours déposer 50% de leur réserve dans les caisses du Trésor français. Passer au bitcoin est donc aussi vu comme un moyen de sortir du système du CFA — et cela, même si le Fonds monétaire international a conseillé au Salvador de faire marche arrière sur l’utilisation de la crypto-monnaie.

Même si le franc CFA va certainement rester la monnaie utilisée par la majorité de la population pendant encore un certain temps, l’adoption du bitcoin dans le pays marque tout de même un précédent : c’est la première fois que la crypto-monnaie est utilisée comme outil géopolitique. Et cela ne sera certainement pas la dernière.

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