L’hémorragie qui frappe la Russie en matière d’accès aux services et produits occidentaux s’aggrave. Alors que de nombreuses plateformes ont pris leurs distances depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, de nouvelles restrictions frappent cette fois le milieu des semi-conducteurs. C’est ce qu’a constaté le site Bleeping Computer, dans son édition du 7 mai.
Le Royaume-Uni a pris le 5 mai des dispositions additionnelles pour punir Moscou depuis le début de son aventure militaire, le 24 février dernier. Or, dans la liste actualisée des sociétés prises pour cible figurent pas moins de 63 entités russes, dont deux groupes bien particuliers : Baikal Electronics et MCST (Moscow Center of SPARC Technologies).
Baikal est un nom que vous est peut-être familier. Au milieu des années 2010, la Russie avait annoncé son intention de remplacer ses ordinateurs et serveurs équipés de processeurs américains AMD ou Intel — deux firmes américaines — par ses propres processeurs, basés sur une architecture ARM. Or, l’architecture ARM est fournie par une entreprise britannique.
ARM est au carrefour de la tech mondiale
C’est justement là que le bât blesse : le Royaume-Uni, en listant Baikal et MCST dans cette liste noire, entrave la capacité russe à pouvoir exploiter les designs mis au point par ARM pour produire ses propres processeurs. ARM ne fabrique pas lui-même les puces : il en dessine les plans, qu’il propose sous licence aux industriels comme Baikal et MCST.
ARM étant une entreprise anglaise, elle a l’obligation de respecter les sanctions imposées par le gouvernement britannique, sous peine de faire face à des ennuis judiciaires. Une issue similaire aurait certainement émergé en cas de rachat d’ARM par Nvidia, une entreprise américaine. Mais finalement, cette acquisition de plusieurs dizaines milliards de dollars ne s’est pas conclue.
La rupture annoncée avec ARM s’annonce difficile pour Moscou. Les designs que l’entreprise britannique propose pour créer de nouveaux processeurs sont très prisés. Des groupes comme Apple, Intel, Samsung et Microsoft ont traité avec elle. Et, après tout, Nvidia n’aurait pas été disposé à lâcher 40 milliards de dollars si ARM n’offrait pas une technologie aussi exceptionnelle.
Les autres grandes nations qui fabriquent des processeurs ne seront pas d’un grand secours pour la Russie. Outre les États-Unis et le Royaume, des nations comme le Japon et Taïwan appliquent aussi des sanctions contre le pays à des degrés divers. Idem pour la Corée du Sud. Tous ces pays sont proches de l’Occident et partagent le même point de vue sur l’invasion russe.
L’industrie russe des puces est coincée en 2004
En termes de finesse de gravure, qui reste la métrique couramment utilisée pour évaluer le degré d’avancement des industries dans les semi-conducteurs, le secteur russe propose des produits dont les transistors atteignent entre 16 et 28 nanomètres (nm) — et en termes de production pure, les chaînes de fabrication ne sont pas capables de descendre sous la barre des 90 nm.
Or, l’ère du 90 nm était celle en vigueur en Occident dans les années 2004-2005. C’est le niveau de finesse que l’on retrouvait par exemple dans la PlayStation 3. C’est dire le retard du pays dans ce domaine. Aujourd’hui, les lignes de production les plus avancées au monde atteignent 10, 7 et même 5 nm. Et déjà, on parle de l’évolution suivante, à 3, voire 2 nm.
Autrement dit, même si la Russie enfreignait la propriété industrielle d’ARM pour produire quand même des puces, elle ne pourrait pas le faire avec un degré de précision de 16 à 28 nm, faute d’avoir les installations adéquates. Il reste alors la possibilité de se tourner vers la Chine, mais c’est un risque d’accroitre encore plus la dépendance de Moscou à l’égard de Beijing.
La Chine n’a pas encore atteint le même niveau de finesse que les autres nations qui comptent dans les semi-conducteurs, mais elle progresse vite. Il reste à savoir si les autorités de Beijing laisseront développer un tel partenariat, dans la mesure où les pays occidentaux font pression partout pour isoler la Russie tant que l’invasion de l’Ukraine se poursuit.
Quant à l’idée de remettre à niveau toute son industrie de production de puces, rien ne sera possible avant plusieurs années — on parle de 2030, au mieux. Or, les besoins de la Russie s’expriment à court terme. Et quand bien même le pays sera en mesure de produire des processeurs plus performants d’ici dix ans, le reste du monde aura lui aussi progressé et sera toujours bien plus en avance.
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