La riposte graduée est en déclin en France. Dans son rapport d’activité pour l’année 2021, mis en ligne le 9 juin 2022 sur le site de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), on constate un nouveau recul du nombre de messages d’avertissement envoyés aux internautes qui sont suspectés de pirater des contenus culturels.
Un rappel préalable : la riposte graduée ne cible pas le piratage en tant quel. Un subterfuge juridique est utilisé, afin de responsabiliser le titulaire de l’accès à Internet. Ce qui est en jeu, c’est la présence ou l’absence de mesures adéquates pour empêcher l’utilisation de l’abonnement pour pirater. C’est ce qui est appelé la « négligence caractérisée ».
Les envois de mail sont en baisse depuis plusieurs années
Les chiffres pour l’année passée s’établissent comme suit :
- 210 595 mails de première mise en garde ;
- 53 564 courriers d’avertissement ;
- 1 484 transmissions au parquet.
À titre de comparaison, les chiffres de 2019 étaient les suivants :
- 619 687 mails de premier avertissement ;
- 208 104 courriers de deuxième avertissement ;
- 1 748 dossiers transmis au parquet.
C’est surtout sur les deux premiers échelons de la riposte graduée que les écarts sont les plus notables. En 2020, il était déjà possible d’observer une baisse du nombre de mails d’avertissement aux internautes pris dans le radar de la chasse aux pirates, en observant les statistiques de 2019 (619 687), 2018 (presque 1,2 million) et 2017 (plus de 1,8 million).
La cause de ce recul ? De moins en moins d’utilisateurs exploitent les réseaux pair à pair (P2P) comme eMule ou BitTorrent pour échanger des contenus. Dans son rapport, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) chiffre ce nombre à 3 millions par mois aujourd’hui, contre 8,3 millions en 2010, année où elle a commencé à exercer.
Les internautes se détournent du P2P, mais pas nécessairement du piratage
C’est « une baisse de plus de 60 % », écrit la Hadopi dans son rapport, tout en s’attribuant une partie des mérites de ce changement. « Ces résultats doivent aussi être portés au crédit des équipes talentueuses mises au service de la Commission par l’Hadopi », lit-on dans le propos de Tanneguy Larzul, président de la Commission de protection des droits.
Le rapport poursuit en soulignant « l’efficacité pédagogique et dissuasive des recommandations » depuis 2011, avec une statistique à l’appui : celle de l’absence de réitérations constatée dans la majorité des dossiers suivis. « Sur 10 personnes averties, au moins 7 prennent des mesures pour éviter tout renouvellement d’actes de piratage », lit-on. Un taux en hausse.
L’effet dissuasif de la Hadopi existe peut-être, à la fois sur les personnes ayant reçu un avertissement et sur les internautes craignant d’en avoir un an. Mais une analyse différente peut être faite sur cette baisse : certes, les internautes ont arrêté le P2P pour beaucoup d’entre eux. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ont arrêté le piratage au sens large.
Cette tendance baissière est aussi le marqueur d’une évolution des usages des internautes. Bien sûr, il y a la peur de voir de l’engrenage judiciaire lorsque l’on est pris dans la riposte graduée. Il y a aussi eu l’effet positif de l’offre légale, essentiellement dans la musique et la vidéo (SVOD), à des prix raisonnables et avec des catalogues étoffés. Mais le piratage aussi a muté.
Ce changement de comportement apparaît d’ailleurs dans le rapport de la Hadopi : depuis 2009, on note une érosion progressive du P2P. En parallèle, le streaming et le téléchargement direct (depuis des plateformes comme Mega) augmentent. Et à partir de 2016, une nouvelle pratique a émergé, celle du streaming en direct (pour des compétitions sportives, principalement).
Or, le fonctionnement de la Hadopi fait que ses radars se limitent aux échanges P2P publics. La riposte graduée n’est pas taillée pour repérer des échanges privés en P2P ni les pratiques se déroulant en streaming ou en téléchargement direct. C’est ce qui peut aussi expliquer la baisse mécanique des avertissements envoyés aux pirates : ils sont ailleurs.
C’est un immense angle mort de la lutte contre le piratage. Et c’est à l’Arcom qu’a été confiée la mission de s’y attaquer.
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