Après la question de l’accidentologie, l’argument environnemental est celui qui revient le plus dans les débats autour des trottinettes électriques en libre-service. Il en a souvent été question avant le référendum organisé par la Ville de Paris le 2 avril 2023, qui a abouti à l’interdiction prochaine de ces engins dans la capitale. Mais, en réalité, « l’argument environnemental aurait dû peser contre l’interdiction de ces trottinettes », assure Anne de Bortoli, interrogée par Numerama. Elle est chercheuse en carboneutralité et durabilité des transports et infrastructures au CIRAIG (Polytechnique Montréal) et chercheuse associée au laboratoire Ville Mobilité Transport de l’École des Ponts ParisTech.
L’usage de ces véhicules électriques en libre-service encourage l’acquisition de trottinettes électriques personnelles. En 2022, en France, 759 000 unités ont été vendues (contre 102 000 en 2017), selon les derniers chiffres de la Fédération des professionnels de la micro-mobilité (FPMM). 2,5 millions de Français en possèdent une et 1 utilisateur sur 10 se serait séparé d’un véhicule motorisé après avoir acquis une trottinette électrique. Une bonne nouvelle, puisque l’impact direct des trottinettes électriques sur l’environnement est limité.
Une réduction drastique des émissions carbone des trottinettes
Anne de Bortoli s’est penchée sur leur empreinte carbone. Pour la calculer, « on suit une méthode normalisée à l’international de l’analyse du cycle de vie de ces engins, explique-t-elle. Je regarde tout ce qui passe au cours du cycle de vie du service, c’est-à-dire les matières premières, l’énergie utilisée, l’assemblage, le transport, l’exploitation (le mode de recharge, la maintenance des pièces…) et la fin de vie des trottinettes (ce qui est mis au rebut ou recyclé, etc.). »
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En 2018, sa première étude sur le sujet (publiée deux ans plus tard) révélait que l’empreinte carbone des déplacements en trottinettes électriques partagées de première génération s’élevait à 109 grammes de CO2 équivalent par kilomètre parcouru (gCO2eq/km). « Soit trois fois moins que le taxi, mais dix fois plus que le vélo personnel. » En 2020, pour les véhicules de deuxième génération, ce chiffre ne s’élevait plus qu’à 60 gCO2eq/km. Les opérateurs ont notamment fait le choix de recourir à des véhicules électriques pour déplacer leurs trottinettes vers le point de recharge de leurs batteries, par exemple. Leur conception actuelle les rend aussi plus robustes et davantage de pièces sont recyclables.
L’empreinte carbone d’une trottinette électrique personnelle est, quant à elle, de 12 gCO2eq/km (la recharge à domicile évite de devoir ramener le véhicule dans un autre local et un utilisateur individuel prendra davantage soin de son engin).
Une absence de cadre unifié
Toutefois, la chercheuse n’a pas réactualisé ses études depuis, car elle se dit principalement « bloquée par la qualité des données » fournies par les opérateurs de ces engins en libre-service. D’après elle, elles sont souvent incomplètes et récupérées en condition de laboratoire, c’est-à-dire avant la mise à disposition des véhicules auprès des utilisateurs. Une pratique qui se justifie du côté de Tier, un opérateur allemand présent dans une centaine de villes en France, par le fait que les autorités locales demandent souvent un premier bilan environnemental. Il est exigé lors de la candidature des opérateurs pour obtenir le droit de mettre à disposition leurs trottinettes sur leur territoire, donc avant la phase opérationnelle.
Le second problème est l’absence de cadre de calcul unifié en matière d’impact sur l’environnement dans les appels d’offres lancés par les villes auprès des opérateurs. « On ne connaît pas la méthode des autres concurrents, la seule manière de se démarquer, c’est d’avoir le chiffre le plus bas, n’importe quel cabinet de conseil peut vous arranger ça », regrette Erwann Le Page, directeur des affaires publiques pour l’Europe de l’Ouest de Tier Mobility, auprès de Numerama.
De fait, les données ne sont pas comparables d’un opérateur à l’autre. Lime évoque une valeur de 20 à 25 gCO2eq/km, sans préciser la méthode de calcul ; Dott évoque une valeur proche de 40 gCO2eq/km, mais souligne immédiatement que les modes de calcul des opérateurs diffèrent.
Un cadre qui doit être fixé au niveau national
Assurant jouer la carte de la transparence, Tier a donc effectué un premier bilan, publié en 2021, en collaboration avec des chercheurs de l’université de Bochum en Allemagne. Cette première analyse de cycle de vie théorique de ses trottinettes, effectuée dans des conditions de laboratoire, a révélé une empreinte carbone de 42,8 g CO2-eq/pkm. Le principal facteur d’émission reste la phase de production, notamment l’aluminium nécessaire à la fabrication. « De plus, cette production se fait encore en Chine, seul pays capable à ce jour de répondre à a demande mondiale », justifie Erwann Le Page.
Tier assure cependant achever une seconde évaluation beaucoup plus fine, qui prendra en compte la phase d’usage réelle (et non plus seulement théorique) des trottinettes électriques en libre-service. L’entreprise prévoit de révéler ces données dans les prochains mois, à la demande notamment d’autorités locales avec lesquelles elles souhaitent renouveler ses contrats. Plusieurs grandes villes, Lyon par exemple (dans laquelle Tier opère aux côtés de Dott), ont de plus en plus d’exigences en matière d’« exemplarité environnementale ». Quant à l’unification des modes des critères environnementaux et de leur évaluation, « c’est au gouvernement et à l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) de fixer le cadre, estime Erwann Le Page. L’industrie ne se régulera pas d’elle-même. »
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