Le Parlement européen a voté le 14 février 2023 la fin de la production de véhicules thermiques à l’horizon 2035 pour les habitants des pays membres de l’Union européenne. En pratique, cela revient à l’arrêt des ventes de voitures et véhicules utilitaires légers neufs à essence et diesel dans l’UE à cette date, ainsi que des hybrides (essence-électrique), au profit de véhicules 100 % électriques.
Cette décision s’inscrit dans un schéma plus large de recours aux véhicules électriques. Ainsi, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), environ 2 milliards de véhicules électriques seront en circulation d’ici 2050, alors que les ventes n’étaient que de 10 millions en 2022 (avec une projection de +35 % en 2023 pour atteindre 14 millions).
Cette augmentation du nombre de véhicules électriques va très logiquement s’accompagner de besoins de plus en plus importants en batteries, et donc en leurs composants, comme le lithium. Les exploitations habituelles étant déjà sous tension, les saumures géothermiques pourraient-elles devenir une source essentielle d’approvisionnement de la filière lithium européenne ?
Le lithium, enjeu économique en voie de pénurie
Le lithium est l’un des composants clés des batteries de véhicules électriques. En 2022, le lithium était présent dans près de 90 % des batteries : les batteries lithium-nickel-manganèse-cobalt (LNMC) représentaient 60 % de part de marché, suivies des batteries lithium-fer-phosphate (LFP) avec une part d’un peu moins de 30 %. Environ 60 % de la demande en lithium concernait ainsi les batteries de véhicules électriques, contre environ 15 % en 2017.
Face à cette demande croissante, l’approvisionnement mondial en lithium est mis à rude épreuve. En 2021 et 2022, la demande a ainsi dépassé l’offre, malgré l’augmentation de 180 % de la production depuis 2017. Selon l’AIE, le monde pourrait donc faire face à des pénuries de lithium d’ici 2025.
En réaction à ces changements, le marché mondial du lithium fait l’objet de toutes les attentions de la part des spéculateurs, des constructeurs automobiles et des fabricants de batteries, qui tentent de sécuriser leurs approvisionnements ainsi que leurs marges.
Les cours du carbonate de lithium (lithium raffiné) ont ainsi été multipliés par six entre août 2021 et novembre 2022, et ceux des cristaux de spodumène (minéral contenant du lithium) ont encore plus progressé dans le même temps.
La consommation mondiale a quant à elle augmenté de plus de 280 % entre 2010 et 2021. Le prix de la tonne est quant à lui passé de moins de 5 000 euros en 2012 à plus de 85 000 euros en novembre 2022, avant de redescendre depuis mars à un peu plus de 50 000 euros.
Le lithium fait ainsi partie des métaux dits stratégiques. La France en a même fait une priorité en matière de souveraineté économique.
Les défis de l’approvisionnement en lithium
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L’exploitation du lithium a lieu principalement sur des gisements de types saumures, tels les salars du plateau andin dans le triangle du lithium, ou par excavation minière conventionnelle dans les pegmatites riches en spodumène, comme en Australie.
Ainsi, la majeure partie des réserves mondiales de lithium se trouvent en Bolivie (21 millions de tonnes), Argentine (19 millions de tonnes), Chili (9,8 millions de tonnes), Australie (7,3 millions de tonnes), et en Chine (5,1 millions de tonnes).
Cette concentration de la ressource en quelques points du globe rend l’Europe dépendante des pays producteurs, tant au niveau de l’approvisionnement que du coût de revient de cette matière première.
Outre cet aspect économique, il est important de noter que l’exploitation des salars est une aberration écologique, qui nécessite de pomper de l’eau en profondeur et de la laisser s’évaporer. Et ce, dans des régions qui subissent déjà un fort stress hydrique. Le pompage, l’ajout d’additifs chimiques ainsi que les terrassements nécessaires aux bassins de décantation défigurent durablement les paysages à fort potentiel d’attraction touristique, et détruisent des écosystèmes particulièrement vulnérables et uniques au monde.
L’impact de l’exploitation en carrière est lui aussi très important, et peut s’accompagner de pollutions majeures, comme c’est aussi le cas pour d’autres métaux.
L’approvisionnement européen en lithium est ainsi confronté à de nombreux défis. Certains sont liés à la forte progression de la demande, d’autres à des contraintes écologiques et sanitaires, et d’autres enfin à la concentration des ressources hors de l’Europe.
La géothermie, nouvelle source d’approvisionnement en lithium
Or, des concentrations élevées en lithium ont récemment été découvertes dans certaines saumures provenant d’exploitations géothermiques européennes, laissant augurer une nouvelle source d’approvisionnement.
La géothermie consiste à capter la chaleur terrestre pour l’exploiter directement. Elle peut ainsi fournir de la chaleur à différentes échelles, des habitations individuelles jusqu’aux réseaux de chaleur d’une agglomération, en passant par l’industrie agroalimentaire. Lorsque la température et le débit sont suffisants, la chaleur peut également être convertie en énergie électrique et injectée sur le réseau national.
Parmi les différentes techniques d’exploitation géothermiques possibles, la géothermie par stimulation de réservoir (EGS, Enhanced Geothermal Systems) permet de remonter à la surface des fluides naturellement surchauffés, présents à grande profondeur, grâce à un premier forage (appelé puits producteur). Ces fluides sont ensuite injectés dans leur niveau d’origine grâce à un deuxième forage (appelé puits injecteur).
Ces fameux fluides sont des saumures, dont on ne modifie en rien la chimie, mais dont on prélève aujourd’hui uniquement la chaleur. Or, selon le terrain géologique dans lequel ils sont captés, ils peuvent contenir du lithium dissous. Le fluide ayant déjà été ramené en surface pour les besoins géothermiques, il ne reste qu’à extraire le précieux métal : d’une pierre deux coups, chaleur et lithium.
De plus, l’Europe est riche en terrains géologiques favorables à ces saumures riches en lithium, ce qui pourrait conduire à une production et un approvisionnement plus local, et moins dépendant de pays ou de sociétés étrangères.
Enfin, la technologie EGS a l’avantage de fonctionner en circuit fermé : il n’y a nul besoin ni de puiser de l’eau pour la faire évaporer ni de défigurer le paysage sur des centaines de kilomètres carrés, comme pour les salars ou les mines.
Vers un développement de la géothermie ?
La découverte de saumures géothermiques riches en lithium pourrait accroître l’intérêt des investisseurs et des pouvoirs politiques dans le développement de la géothermie. La demande en lithium est telle que la production de chaleur pourrait même, à terme, devenir un effet secondaire de l’extraction, et non plus la ressource principalement recherchée.
Durant la dernière décennie, la Commission européenne a montré un intérêt particulier pour le développement de la géothermie à grande profondeur, notamment la géothermie par stimulation de réservoir. L’exploration et le développement de systèmes EGS ont été étudiés en détail par différents projets de recherche et de démonstration tels IMAGE, DESTRESS, GEMEX et MEET.
Des projets préliminaires visant à coproduire lithium et énergie géothermale sur réservoirs stimulés ont démontré la faisabilité technique du processus d’extraction, ainsi que son potentiel économique.
De nombreuses recherches sont à présent nécessaires afin de développer à l’échelle européenne cette nouvelle activité. Une approche multidisciplinaire est indispensable afin de cartographier la ressource en fonction du contexte géologique, déterminer les propriétés mécaniques et pétrophysiques des différents types de réservoir, comprendre les processus d’altération de la roche réservoir et les mécanismes de transport et concentration du lithium, et développer de nouvelles techniques d’extraction à haut rendement et respectueuses de l’environnement.
Mais au-delà de ces considérations économiques, les batteries lithium-ion méritent-elles vraiment une telle place dans une société sans carburant ? Qu’elles aient changé notre société est indéniable, mais si rien n’est fait concernant le coût environnemental de l’extraction des métaux bruts, du recyclage et de la réutilisation, les batteries pourraient bien devenir la prochaine grande crise environnementale après l’effet de serre. Avec ou sans exploitation géothermique.
Olivier Pourret, Enseignant-chercheur en géochimie et responsable intégrité scientifique et science ouverte, UniLaSalle et Ghislain Trullenque, Enseignant Chercheur Géologie structurale et géothermie, UniLaSalle
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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