Une vidéo, qui cumule 3,4 millions de vues, dénonce l’existence d’un cimetière de voitures électriques chinoises neuves qui aurait été créé pour exagérer les chiffres des ventes. La réalité est quelque peu différente de ces apparences.

En matière de voitures électriques, les prétextes ne manquent pas pour créer un scandale. Le contenu prête à réagir et la couverture médiatique suit bien souvent. Au mois de juin 2023, c’est une vidéo du Youtubeur Serpentza, suivi par 1,35 million d’abonnés, qui a eu ce rôle de catalyseur. La vidéo, ainsi que plusieurs médias la relayant, dénonçait l’existence de 10 000 voitures électriques neuves qui auraient été abandonnées en Chine, alors qu’elles étaient fraîchement immatriculées. Il n’en a pas fallu davantage pour accuser de triche les constructeurs chinois concernés et transformer l’histoire en scandale écologique.

Un autre youtubeur, basé en Chine, s’est rendu sur le site du « cimetière » de voitures électriques à l’origine du buzz pour enquêter. Les observations et les informations qu’il a récoltées dans une vidéo parue sur sa chaine YouTube, Inside China Auto (ICA), le 13 août, racontent une autre histoire.

Les voitures du « cimetière » ne sont ni neuves, ni 10 000

Contrairement à ce qui a été clamé par le youtubeur Serpentza, les voitures garées en nombre dans le « cimetière automobile » ne sont ni neuves, ni aussi nombreuses qu’annoncé. Certaines voitures considérées comme abandonnées sont dans un bon état. Cependant, la majorité portent des traces de leur utilisation, voire des chocs sur la carrosserie. Les plus récentes ont un peu plus d’un an et les plus anciennes sont des modèles technologiquement dépassés d’il y a 5 ans.

Cimetière de voitures électriques chinoises // Source : Inside China Auto - Youtube
Comparaison des deux vidéos permettant de vérifier que le lieu est bien identique. // Source : Inside China Auto – Youtube

Sur le terrain, il y a en contrebas des carcasses de véhicules lourdement accidentés, mais aussi des véhicules de marques Geely, Hyundai ou Dongfeng Peugeot qui semblent être en stockage temporaire. Il y a en tout cas une activité professionnelle autour de cet espace.

Une chose est vraie dans la vidéo initiale de Serpentza : il y a bien des voitures neuves sur la partie basse du terrain. Celles-ci ne sont pas encore immatriculées, et par conséquent ne comptent pas dans les statistiques d’immatriculation. Mais, le plus important à retenir, c’est qu’il ne s’agit pas de voitures électriques chinoises. Ce sont des véhicules électriques de marques étrangères : des Volkswagen, des Audi et des Toyota BZ4X. Ces modèles sont probablement en attente d’une livraison ou d’un acheteur.

Toyota et VW en attente de livraison // Source : Inside China Auto - Youtube
Toyota et VW en attente de livraison. // Source : Inside China Auto – Youtube

Dans tous les cas, il n’y a certainement pas 10 000 voitures dans ce qui a été présenté comme le « cimetière » de voitures électriques chinoises.

Ce ne sont pas des véhicules produits uniquement pour tricher sur les ventes

Dans la vidéo initiale, il est affirmé que près de 10 000 Neta V sont à l’abandon et que tout ceci n’a servi qu’à fausser les chiffres spectaculaires des immatriculations de véhicules électriques en Chine. Or, le youtubeur Inside China Auto a dénombré entre 150 et 200 exemplaires de Neta V sur place. Ces voitures ont été utilisées par des compagnies de VTC qui ont mis la clé sous la porte. 200 immatriculations ne risquent pas vraiment de fausser les statistiques de vente en Chine. Même en France, cela ne serait au plus qu’une petite anomalie.

Cimetière d'EV chinoises // Source : Inside China Auto - Youtube
« Cimetière » d’EV chinoises d’un service d’autopartage. // Source : Inside China Auto – Youtube

Il y a aussi de nombreux modèles (plusieurs centaines) de BAIC BJEV, qui viennent d’une flotte de voitures électriques en autopartage, ayant fini par faire banqueroute. Ces BJEV EC3 sont des modèles low cost produits à partir de 2018. Là encore, il s’agit de voitures immatriculées plusieurs années auparavant. Ces voitures ont été mises en circulation pour un projet de car sharing qui a échoué, comme beaucoup de solutions d’autopartage dans le monde. Pour rappel, les ex-Autolib de Paris ont subi un sort similaire en France en se retrouvant à l’abandon sur un terrain vague. Le site Blog-Moteur avait réalisé un reportage photo sur place en 2021.

Photo prise dans le cimetière des Bluecar Bolloré (ex-Autolib) // Source : Mathias Dugenetay pour Blog-Moteur
Photo prise dans le cimetière des Bluecar Bolloré (ex-Autolib). // Source : Mathias Dugenetay pour Blog-Moteur

Les arguments des constructeurs chinois qui tricheraient sur les immatriculations, en stockant des véhicules neufs fraîchement immatriculés, ne tiennent donc absolument pas la route.

Une catastrophe écologique ? Un beau gâchis, tout au plus

Le youtubeur Serpentza n’hésite pas à utiliser des arguments contre les voitures électriques, très répandus parmi les opposants à cette technologie. Il reproche notamment « des atrocités du droit humain attachées à la fabrication de ces batteries, travail des enfants et travail d’esclaves », ou « que ces batteries utilisent des matériaux et des produits chimiques complètement insensés ». La vidéo est sans aucun doute possible à charge contre les véhicules électriques.

Il ne faut pas se leurrer, des flottes de voitures sans seconde vie après la faillite d’une entreprise, c’est un gâchis de ressources. Qu’il s’agisse de voitures, de vélos, de composants électroniques ou de vêtements, ces gaspillages ne devraient plus avoir lieu. Il faudrait a minima que les véhicules soient envoyés au recyclage, ce qui n’est peut-être pas exclu. Il doit être possible de donner une seconde vie à ces batteries électriques et à certains matériaux.

Cependant, il n’y a pas plus de risques écologiques avec ces véhicules électriques entreposés sur ce terrain, qu’avec n’importe quel stockage de véhicules thermiques. Le seul risque concerne celui d’un éventuel incendie.

Tout ceci n’est en tout cas pas propre à la voiture électrique. Certains semblent avoir oublié les stockages de 350 000 Volkswagen récupérées auprès des clients américains à la suite du scandale du Dieselgate (trucage des émissions polluantes). Attention à ne pas avoir la mémoire un peu trop sélective : niveau gaspillage, la voiture thermique a aussi son lot de casseroles :

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