« L’Europe est ouverte à la concurrence. Pas à un nivellement par le bas. » Cette phrase prononcée, ce 13 septembre 2023, par Ursula von der Leyen en tant que présidente de la Commission européenne, va certainement marquer les esprits. C’est un discours qui rappelle étrangement des positions adoptées quelques années plus tôt pour stopper l’afflux massif des panneaux solaires chinois. L’Europe vient d’annoncer lancer une grande enquête « antisubventions », sur 13 mois, concernant les voitures électriques produites en Chine.
Même si cette démarche paraît répondre à l’appel de Luca de Meo, patron de Renault et président de l’association des constructeurs automobiles européens, elle est plus globalement à un aveu d’échec de l’Europe face à la vague de voitures électriques « made in China ». La France, avec son futur bonus écologique, a ouvert la voie à une volonté protectionniste. L’Europe menace désormais de sanctionner pécuniairement les importations, si la concurrence est jugée déloyale à cause de subventions. Tout ceci ressemble surtout à un bras de fer assez dangereux contre la Chine.
Une posture politique avec un timing étrange
Pour justifier l’initiative de cette enquête, Ursula von der Leyen affirme : « Les marchés mondiaux sont désormais inondés de voitures électriques moins chères. Et leur prix est maintenu artificiellement bas par d’énormes subventions publiques. »
Il y a une certaine ironie dans le propos de la présidente de la Commission européenne. Si les véhicules électriques chinois débarquent à présent en masse en Europe, c’est parce que l’Union européenne a décidé de basculer vers le 100 % électrique dans un délai particulièrement serré (avant 2035). Malgré les alertes des industriels européens, leur disant qu’ils n’étaient pas prêts, la décision d’une transition vers la voiture électrique a été actée en connaissance de cause.
Les constructeurs européens ont alors développé des modèles 100 % électriques de première génération (ou seconde pour certains) pour commencer à répondre à la demande. Leur développement est couteux et les processus d’industrialisation absolument pas optimisés, comparé à Tesla ou la concurrence chinoise. Les voitures électriques sont donc chères pour l’acheteur et peu rentables pour les constructeurs historiques. Pour inciter les industriels à s’installer en Europe, plutôt qu’en Chine, les gouvernements européens aident massivement à l’implantation des groupes internationaux (comme pour la vallée de la batterie en France) à grands renforts d’avantages fiscaux.
De son côté, la Chine a lancé l’électrification de son industrie automobile bien plus tôt, plus de 11 ans avant. Mais, c’est surtout sur les 4 dernières années que la transformation a été réellement massive et impressionnante. Bien entendu, le gouvernement chinois a largement subventionné cette industrie pour l’aider à se développer sur le marché local, mais aussi avec des ambitions de conquêtes internationales. Cependant, la Chine a depuis coupé le plus gros des robinets à subventions à destination des constructeurs. Il reste essentiellement des aides à l’achat, équivalentes à nos systèmes de bonus européens.
L’enquête initiée par la Commission européenne semble être lancée à contre-temps. Cependant, celle-ci couvre un périmètre finalement assez large : des prix des matières premières et des batteries aux prêts préférentiels ou à la mise à disposition de terrains à bon marché pour les usines.
Une concurrence déloyale ou une stratégie intelligemment préparée ?
Les constructeurs chinois bénéficient d’un avantage certain sur les coûts de production : de l’ordre de 20 % sur les matières premières et les approvisionnements, selon l’aveu même du fondateur de Nio, cité par Reuters. Cela peut être perçu comme une concurrence déloyale, mais c’est surtout un avantage concurrentiel développé par la Chine, et abandonné jusqu’à maintenant par l’Europe. Si le pays a désormais la main mise sur le lithium, les semi-conducteurs et toutes les pièces détachées, c’est parce que l’Europe a fait le choix d’y faire son approvisionnement ou d’y délocaliser sa production depuis de nombreuses années.
Après avoir créé une forte dépendance à la Chine (avant le Covid) pour la fourniture des pièces, l’Union européenne veut dorénavant tout rapatrier sur son territoire. Néanmoins, cela prendra du temps de réindustrialiser l’Europe et de trouver, puis former, de la main d’œuvre. Et, cela ne changera pas l’avance technologique prise par les fabricants chinois en quelques années.
Enfin, c’est aussi sur le coût de l’électricité et de la masse salariale que la Chine arrive à creuser l’écart. C’est un des éléments que dénonçait Luca de Meo dans un discours du mois d’août sur le manque de compétitivité de l’Europe. La Commission européenne a pris en compte cet élément et va chercher des solutions. Néanmoins, il sera toujours plus facile de juger que la Chine abuse des subventions pour augmenter les frais de douanes appliqués à ses véhicules électriques, que de revoir en profondeur le fonctionnement des États membres et de la politique commune.
Un conflit risqué pour les constructeurs européens
Depuis le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie, les tensions entre la Chine et l’UE se sont accrues. Le discours d’Ursula von der Leyen du 13 septembre revient un peu à craquer une allumette dans un espace rempli de substances inflammables. Les constructeurs européens ont déjà perdu (pour certains beaucoup) en Russie, il ne faudrait pas que cela se reproduise en entamant un conflit ouvert avec la Chine dans un délai aussi court.
Tous les constructeurs européens dépendent d’une manière ou d’une autre de la Chine, pour :
- L’approvisionnement en composants, batteries ou matières premières,
- Assurer des volumes de ventes (surtout pour les constructeurs allemands),
- La production de certains modèles commercialisés en Europe,
- Des partenariats sur les plateformes, motorisations ou les technologies embarquées.
Si la Chine choisit de riposter aux propositions de l’UE, le retour de boomerang pourrait certainement faire de sacrés dégâts. L’Europe n’est pas réellement en position de force dans l’histoire.
Vouloir trouver une excuse pour taxer les importations répond surtout à un besoin politique populiste en vue de prochaines élections. Certains constructeurs et personnalités politiques croient dans les capacités de l’industrie automobile européenne pour réagir et se montrer compétitive face aux voitures électriques importées de Chine. Il faut juste que l’Europe les accompagne avec les bonnes réglementations et les bons changements pour leur donner le coup de pouce nécessaire.
Les enjeux politiques et économiques autour de la voiture électrique européenne, comme chinoise, font partie de sujets abordés librement dans la newsletter hebdomadaire Watt Else. Abonnez-vous pour suivre ces sujets.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous gratuitement à Artificielles, notre newsletter sur l’IA, conçue par des IA, vérifiée par Numerama !