Il était surprenant qu’un des critères du texte du bonus puisse être favorable aux constructeurs étrangers, le gouvernement l’a donc modifié pour être certain que cela profite aux constructeurs européens. Entre le projet ouvert à consultation et le décret final publié le 20 septembre, peu d’éléments ont changé dans le texte définissant le calcul du score environnemental, à l’exception de la partie concernant la production des batteries. Au milieu de cette usine à gaz pour définir l’éligibilité au bonus, cette modification n’est pas du tout innocente.
Grâce à un choix de chimie jugée comme moins polluante, Tesla et les constructeurs chinois (pour l’essentiel) pouvaient récupérer un court avantage sur les autres constructeurs. Le texte a été modifié pour s’assurer qu’en aucun cas cela n’arrive.
Bonus écologique : une usine à gaz clairement orientée
Dès 2024, l’éligibilité au bonus écologique de 5 000 € sera basé sur 6 critères relatifs à la production de la voiture électrique :
- acier (métaux ferreux)
- aluminium
- autres matériaux
- batterie
- assemblage
- transport
Pour ces éléments, c’est la consommation en CO2 de ces différents postes qui seront jugés, selon leur pays de production.
La production en Chine et dans les autres pays asiatiques est lourdement sanctionnée avec des valeurs largement plus élevées (jusqu’à 2,5 fois plus) qu’une production européenne ou américaine. Il faut savoir que, par défaut, c’est le mix énergétique du pays qui sert au calcul, quand bien même l’entreprise utiliserait une énergie décarbonée. Le constructeur se sentant lésé par ces valeurs pourra faire appel de la décision dans un second temps, pour faire prévaloir le mix énergétique utilisé par sa propre production des différents éléments (y compris pour le transport). Rien ne lui garantit qu’il obtiendra une révision de son score environnemental.
Le choix des valeurs de référence n’est pas sans créer certains débats animés, y compris au sein des différents pays européens. Des incohérences que Numerama avait relevées dès le premier texte.
Un « pas vu pas pris » sur la batterie ? C’est raté
Là où la ficelle est probablement un peu grosse, c’est sur la production de la batterie. Une petite modification de quelques lignes dans le texte a fait complètement basculer cet élément.
D’ailleurs, les communiqués de presse des différents ministères ont repris une information partiellement fausse, en annonçant que les « types et technologies » des batteries étaient pris en compte. Si le texte initial différenciait les scores environnementaux selon la chimie de batterie utilisée, le texte final n’en fait plus état.
Dans le projet de décret, les valeurs des batteries étaient différentes selon deux critères : la chimie des cellules et le pays de production. Pour la chimie, il y avait 7 variantes prises en compte :
- NMC111
- NMC532
- NMC622
- NMC811
- NCA
- LFP
- Autres chimies
Dans la version publiée au Journal Officiel, seules les valeurs correspondant à la batterie NMC811 servent de références à l’ensemble des batteries produites. Si d’apparence, cela peut apparaître comme une simplification nécessaire du calcul, la raison est certainement bien plus politique. Pour simplifier le tableau, celui-ci aurait pu se limiter à 3 familles de technologie : les batteries NMC/NCA, les LFP et les autres.
Pour les pays/zones, le découpage reste identique entre le projet et le décret final :
- Europe
- États-Unis
- Chine
- Corée du Sud
- Japon
- Autres
Un découpage qui est loin de se montrer aussi transparent qu’il n’y parait. Apparemment, une fabrication en France, en Allemagne ou en Pologne ont le même impact CO2 sur la production et utilisent donc le même mix énergétique, c’est nouveau.
Pourquoi ce changement au niveau de la chimie des batteries change la donne ?
Suite à la disparition du critère relatif à la chimie des batteries, un doute s’est invité concernant ce qui était pris en compte par le score environnemental : la production du pack batterie (assemblage final des modules) ou la production des cellules. Si le score s’appliquait sur l’assemblage du pack batterie selon sa capacité en kWh, cela pourrait inviter à une certaine triche. Il serait possible de commander des cellules à un sous-traitant chinois pour faire l’assemblage en module puis batterie entière en Europe. Le fameux « made in France » qui consiste à assembler des pièces chinoises.
Pour lever le doute, Numerama s’est directement adressé à l’Ademe, qui sera en charge du calcul du score environnemental des voitures électriques. L’Ademe confirme que c’est bien la fabrication des cellules qui est considérée. Laurent Gagnepain, Ingénieur-expert au service Transports et Mobilité de l’ADEME, précise : « Ceci pour tenir compte du fait que ce sont les étapes de production de cellules et amont qui sont les plus émettrices de gaz à effet de serre et que de ce fait il est plus pertinent, dans un calcul simplifié, de prendre en compte le lieu de production de cellules plutôt que celui du lieu d’assemblage final du pack batterie. »
Pour comprendre le changement du texte, il faut donc se demander : où sont fabriquées les cellules de batterie qui équipent les voitures européennes ? Si plusieurs usines ont ouvert en Europe (dans les pays de l’Est et en Allemagne), et bientôt plusieurs en France. Les cellules sont encore massivement produites en Chine, y compris pour les véhicules européens. Les volumes de production et leur coût ne permettent pas encore de satisfaire la demande locale. Ce sont donc les valeurs chinoises de la production de batterie qui viennent grever le score des voitures européennes.
Étant donné que les constructeurs européens sont en plus friands de batteries avec une chimie NMC, ils se retrouveraient soudainement défavorisés. Les batteries en chimie LFP ont un impact CO2 bien plus favorable, et donc un meilleur score dans le calcul du bonus, que les batteries NMC ou NCA. Or, ces batteries LFP se retrouvent majoritairement dans les modèles d’entrée de gamme de constructeurs chinois (ex : MG4 standard, BYD Atto3) ou de Tesla (Model 3 ou Model Y propulsion).
En ne conservant que la valeur d’une batterie NMC comme référence, on gomme l’avantage des constructeurs exploitant des batteries LFP, moins polluantes. Ceci permet d’éviter un affront aux constructeurs européens, de se faire doubler sur le critère batterie par ceux que l’on souhaite exclure du bonus.
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