C’est un site anodin, apparu courant janvier sur la toile, mais qui exprime en fin de compte assez bien le retour du malaise à l’égard du 737 Max. Ce site, appelé « Is my plane a 737 MAX ? » (est-ce que mon avion est un 737 Max ?) permet, sur le papier, de renseigner son numéro de vol et de vérifier si l’avion mobilisé pour le trajet est de cette gamme ou si un autre aéronef est en jeu.
Le site, lancé le 8 janvier, et qui a tout de la boutade, est à considérer avec du recul, y compris sur les informations qu’il peut afficher. Les compagnies aériennes sont en effet susceptibles de changer d’avion sans préavis pour un vol donné. Ce qui peut être exact sur le 737 Max Checker un jour ne le sera peut-être plus nécessairement le lendemain.
Ce projet illustre toutefois le retour d’une défiance naturelle à l’égard d’un modèle d’avion qui avait défrayé la chronique en 2019 et 2020. À l’époque, le 737 Max est impliqué dans deux catastrophes aériennes, causant la mort de 346 personnes en 2018 et 2019. Aucun survivant pour les vols et un crash qui a eu lieu à chaque fois quelques minutes après le décollage.
L’affaire tourne alors à la catastrophe industrielle pour Boeing et au scandale pour l’administration de l’aviation civile aux États-Unis (Federal Aviation Administration — FAA). L’avion est jugé mal conçu et les inspecteurs de la FAA considérés comme trop complaisants à l’égard de Boeing ou pas au niveau pour évaluer correctement le 737 Max.
Il faudra des mois à Boeing pour obtenir de nouveau le droit de faire voler ses 737 Max, cloués au sol à partir de mars 2019, et au prix de cruciales modifications. La FAA a donné son feu vert en novembre 2020, son homologue européenne, l’Agence de la sécurité aérienne (EASA), en janvier 2021. Depuis lors, tout semblait être rentré dans l’ordre.
Un avion 737 Max perd un bout de son fuselage
Mais début 2024, l’avion s’est retrouvé une nouvelle fois sur le devant de la scène pour un incident en plein vol. Lors d’un vol opéré par Alaska Airlines, le 5 janvier, un bout du fuselage de l’aéronef s’est soudainement arraché. Il s’agit plus précisément d’une porte de sortie d’urgence. Là encore, l’évènement est arrivé au début du vol, mais il n’y a eu cette fois aucune victime, ni blessé.
L’avion a pu faire demi-tour rapidement et se poser en sécurité dans un aéroport des États-Unis — à Portland. La cabine a toutefois subi une dépressurisation violente, causant une vive frayeur chez les passagers, alors que le 737 Max se trouvait déjà à plusieurs kilomètres d’altitude. Les photos de l’incident montrent un trou de grande taille dans la carlingue.
Le souci, ici, est d’une nature très différente du problème rencontré par Boeing il y a quelques années, lors des crashs. À l’époque, c’était un système dédié au 737 Max (le MCAS — Maneuvering Characteristics Augmentation System) qui se déclenchait de façon intempestive et entraînait un problème de pilotage. Le MCAS était censé être un outil d’aide pour éviter le décrochage de l’avion.
Selon le New York Times, il s’agirait d’un problème de fabrication de l’avion. Les enquêteurs fédéraux étudient la possibilité d’une perte de porte en raison de vis manquantes ou mal fixées. Cette pièce a fini par être retrouvée dans le jardin d’un professeur de sciences. Des boulons mal serrés ont aussi été signalés par United Airlines sur ses 737 Max, sans en préciser le nombre.
Qu’il s’agisse ou non d’une erreur de l’avionneur américain, toujours est-il que la FAA a ordonné dès le 6 janvier l’immobilisation temporaire de 171 appareils 737 Max 9 (la version qui a succédé au 737 Max 8, impliqué dans les deux crashs) exploités par des compagnies aériennes américaines ou sur le territoire américain. Cela afin que des inspections soient menées.
Le scénario rappelle l’interdiction de vol qu’a connu le 737 Max en 2019, quoiqu’avec une intensité moindre. À l’époque, la suspension avait été décidée par les autorités nationales ou internationales dans une très grande partie du monde. Ce bannissement du ciel a été un cas inédit par sa durée et son envergure. L’enquête avait montré un problème remontant à des années en arrière.
« La première priorité de la FAA est d’assurer la sécurité du public voyageur. Nous avons cloué au sol les avions concernés et ils le resteront jusqu’à ce que la FAA soit convaincue qu’ils sont sûrs », a commenté la FAA le 7 janvier, dans un nouveau point d’étape. Depuis, la situation n’a pas fondamentalement changé et les investigations se poursuivent, tandis que les 737 Max sont à l’arrêt.
Boeing a signifié sa disponibilité pour l’enquête et s’est rangé complètement à la décision de la FAA « d’exiger des inspections immédiates des avions 737-9 ayant la même configuration que l’avion concerné ». Le PDG David Calhoun, lui, a ajouté que son groupe va « aborder cette question, premièrement, en reconnaissant notre erreur », a rapporté NBC News.
« Nous allons l’aborder avec une transparence totale et complète à chaque étape du processus », a-t-il ajouté le 9 janvier, avec le souci que cette situation « ne puisse plus jamais se reproduire ». C’est par ailleurs un dossier politique très sensible, mais aussi très suivi, aussi bien par le Congrès des États-Unis que par le président Joe Biden lui-même, selon CNN.
Un incident qui révèle une approche néfaste de Boeing
Le constructeur aéronautique marche sur des œufs avec ce nouveau dossier. Idem pour la FAA, qui pourrait de nouveau être mise sur le banc des accusés ou, à tout le moins, faire l’objet d’une audition, voire d’une commission d’enquête. En 2020, le Congrès avait déjà pointé du doigt la porosité des rapports entre la FAA et Boeing, les dissimulations et les défaillances autour du 737 Max.
Ce défaut manifeste de structure ou de construction au niveau de la porte pourrait être le témoignage malheureux d’un changement de culture d’entreprise chez Boeing, aux yeux du Monde. Les deux catastrophes aériennes, conjuguées à cet autre déboire, seraient la preuve d’un visage de l’avionneur où les logiques financières et commerciales ont pris le pas sur l’ingénierie.
Le site American Prospect publiait à ce sujet le 9 novembre un article dans lequel il est expliqué que problèmes du 737 Max sont une émanation de son état d’esprit financier : « La porte qui s’est détachée d’un avion d’Alaska Airlines n’existe que grâce à des techniques de production qui permettent de réduire les coûts et d’entasser plus de passagers dans la cabine. »
C’est en effet l’une des particularités de cette porte de sortie d’urgence. Celle-ci est en fait cachée et située un peu après l’aile de l’avion (il y a une porte de ce type de chaque côté). Plutôt que d’avoir une porte classique, mais aveugle, un panneau a été mis en place, avec un hublot permettant de voir l’extérieur. Cela permet de rajouter une vue pour les sièges concernés.
Pour l’heure, les vols de ces 737 Max demeurent interrompus. « La priorité de la FAA est toujours d’assurer la sécurité des Américains », assure la FAA. « C’est la sécurité des passagers aériens, et non la vitesse, qui déterminera le calendrier de remise en service du Boeing 737-9 Max », ajoute-t-elle, alors que ce dessine un plan de vérification et de contrôle qualité.
On ignore jusqu’où cette affaire va emmener Boeing et la FAA, et quelles pourront être les conséquences financières et réglementaires pour les deux principaux acteurs de regrettable pièce. Les deux crashs avaient coûté des milliards à l’avionneur, et entamé la confiance du public. Le site 737 Max Checker donne une petite idée de la direction que tout cela prend.
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