Il est certain que des marques chinoises vont réussir à s’imposer dans le paysage automobile européen. Doit-on pour autant craindre qu’elles dominent le marché et coulent tous les autres sur leur passage ? Cela semble un peu exagéré, à la vue des données d’immatriculations publiées par Jato pour l’année 2023. Certains grands patrons reprochent à l’Union européenne d’avoir déroulé le tapis rouge aux voitures électriques chinoises, mais l’analyse des chiffres ne confirme pas vraiment cette tendance pour le moment. Les Européens ne se jettent pas sur les marques chinoises, malgré les prestations offertes, pour des prix sensiblement inférieurs aux marques européennes.
Au mois d’avril dernier, Numerama avait déjà fait un point sur l’invasion supposée de ces voitures chinoises en couvrant la période de 2002 à début 2023. L’idée ici est de revoir les chiffres actualisés de 2023, pour observer si les marques chinoises augmentent ou régressent. Et il y a quand même quelques surprises.
Toujours plus de nouvelles marques chinoises en Europe
Plusieurs nouvelles marques chinoises ont fait leur apparition sur le marché européen en 2023 : HiPhi, Omoda, Zhidou, Elaris ou Zeekr. Vous ne les connaissez pas ? Rien d’anormal. Certaines de ces marques ont été introduites par des importateurs sur leur marché local pour tenter une approche. En France, c’est le cas de Seres ou de Leapmotor (en attendant la prise de contrôle par Stellantis de cette dernière). L’Italie a un importateur particulièrement actif qui tente de séduire le marché local, avec plusieurs modèles chinois rebadgés, comme les DR Automobiles, mais ce sont essentiellement des voitures thermiques, GPL ou hybrides à bas prix.
Parmi ces nouvelles marques, il y a aussi de vrais groupes chinois ambitieux qui veulent s’exporter hors de Chine et conquérir l’Europe en s’y implantant :
- Zeekr, l’une des dernières marques du géant Geely,
- Omodo, poussé par Chery Automobile,
- HiPhi.
Pour le dernier, ce n’était probablement qu’un passage éclair en Europe. HiPhi est en grande difficulté financière et vient d’annoncer arrêter la production pour 6 mois. Les chances de survie sont donc assez faibles.
Seules 5 marques chinoises dépassent les 1 000 voitures électriques immatriculées
Même si le nombre de marques chinoises sur le marché européen dépasse désormais le nombre de marques japonaises, les volumes de vente ne suivent pas vraiment. Certaines se comptent même carrément sur les doigts de la main. Toutes n’ont pas encore une année complète d’existence pour pouvoir les juger équitablement, mais il est assez probable que beaucoup de ces nouveaux badges n’aient qu’une présence anecdotique en Europe.
Sur les 5 marques qui dépassent les 1 000 immatriculations de voitures électriques en 2023, seules deux peuvent être considérées actuellement comme des concurrentes potentielles de marques historiques : MG et BYD.
Immatriculations EU en 2023 | Nombre de modèles | |
---|---|---|
AIWAYS | 748 | 2 modèles |
BYD | 15 703 | 5 modèles |
DFSK | 774 | 1 modèle |
DR AUTOMOBILES | 490 | 1 modèle |
ELARIS | 652 | 2 modèles |
HIPHI | 5 | 2 modèles |
HONGQI | 226 | 1 modèle |
JAC | 440 | 2 modèles |
LEAPMOTOR | 512 | 1 modèle |
MAXUS | 949 | 3 modèles |
MG | 107 000 | 4 modèles |
NIO | 2 404 | 5 modèles |
OMODA | 183 | 1 modèle |
ORA | 6 237 | 1 modèle |
VOYAH | 106 | 2 modèles |
XPENG | 2 026 | 4 modèles |
ZHIDOU | 19 | 1 modèle |
ZEEKR | 17 | 2 modèles |
Ces résultats sont particulièrement timides pour la plupart de ces nouvelles marques. Si l’on met de côté MG, qui apporte 73 % des immatriculations des marques chinoises, cela représente moins de 32 000 voitures électriques réparties sur 17 marques. Il faudra donc attendre quelques mois pour voir si une vague chinoise commence à submerger l’Europe.
Les potentiels espoirs de demain : MG, BYD, Ora, Nio et Xpeng ?
MG
MG a immatriculé 107 000 voitures électriques sur l’année sur un total de 231 818 voitures thermiques et électriques en 2023 : une belle et rapide progression. MG est finalement la seule marque chinoise à avoir réussi son intégration en Europe, se payant même le luxe de dépasser plusieurs marques – essentiellement japonaises – rien qu’en prenant en compte ses ventes de voitures électriques.
BYD
Avec un peu plus de 15 000 immatriculations en 2023, BYD démarre plutôt bien. La marque avait déjà enregistré environ 4 000 unités à fin 2022, mais elle ne s’est pas lancée en même temps dans tous les pays. En France, par exemple, la marque chinoise n’a finalement eu qu’une grosse moitié d’année pour s’installer dans le paysage automobile. Est-ce là ce qui explique qu’elle n’enregistre chez nous que 520 immatriculations en 2023 ? Pas seulement, la politique tarifaire de la marque et la défiance des français pour les marques inconnues doivent également être prises en compte. Les premières campagnes de publicité en 2024 vont-elles changer la donne ?
Ora
La marque Ora du groupe Great Wall Motor, avec son modèle Funky Cat, n’est pas encore présente dans tous les pays, et la France arrivera certainement en dernier. Pour autant, avec 6 237 immatriculations en Europe sur un unique modèle, le résultat est honorable. C’est plus que la Tesla Model S (5 549), le Model X (4 264) ou l’Audi e-tron GT (6 037), même si ces véhicules ne jouent pas du tout dans la même catégorie au niveau du budget : 40 000 € pour l’Ora Funky Cat vs des modèles à 100 000 € et plus. Cela donne quand même un ordre de grandeur.
Nio
Nio continue de lancer des modèles en Europe en espérant décoller, mais pour le moment rien ne semble vraiment affoler les compteurs. La marque n’a immatriculé que 2 404 voitures pour 5 modèles proposés à la vente. Le patron de Nio avait pourtant affirmé en septembre dernier lors du salon de Munich qu’il y en avait 3 fois plus, mais les données d’immatriculation le trahissent. ET5 est le modèle le plus vendu avec 778 exemplaires, suivi de ET7 et ses 774 unités.
Xpeng
Son concurrent Xpeng, également positionné sur du premium chinois, ne s’en sort pas vraiment mieux avec 2 026 voitures électriques immatriculées en 2023. La nouveauté de l’année, la Xpeng G9, se démarque un peu avec 1 637 immatriculations. Heureusement pour la marque, car les autres modèles sont en chute libre depuis l’année dernière. Ce n’est pas bon signe pour sa longévité.
L’Europe n’est pas encore l’Eldorado promis
BYD a décidé de mettre les moyens pour réussir en Europe, mais ça va lui coûter cher. Il faudra confirmer, d’ici deux ans, si son pari est réussi. En attendant, il est assez marrant de constater que la Thaïlande a immatriculé deux fois plus de voitures électriques BYD (30 650 unités) en 2023 que les 28 pays européens réunis. Le succès dans ce pays asiatique s’explique simplement par l’absence de concurrence locale. Les marques japonaises y sont historiquement bien implantées sur le thermique, mais n’y commercialisent aucun VE. Les marques chinoises ont ainsi le champ libre et occupent le terrain. C’est une des principales différences avec l’Europe. Ici, les constructeurs chinois se heurtent à une concurrence, qui malgré un départ tardif, va tenir fermement ses positions.
Le seul groupe chinois qui peut se satisfaire de sa présence en Europe, c’est Geely. Ce n’est pas avec l’une de ses marques 100 % chinoises que ce groupe industriel a réussi son pari, mais c’est avec ses rachats et participations astucieuses dans des marques européennes historiques. Derrière Geely se trouve Volvo, Polestar, Lynk&co, Lotus et Zeekr. Il est aussi intégré dans la fabrication des nouvelles Smart ou bien dans la filiale des moteurs thermiques et hybrides de Renault. Il laisse une empreinte discrète en Europe, mais le groupe est bien implanté.
Sauf que si Geely est assez fort dans son ensemble, il l’est moins si l’on se concentre uniquement sur le 100 % électrique. Le groupe a certes immatriculé plus de voitures que toutes les autres marques chinoises réunies : 347 343 contre 299 581, mais les voitures électriques ne représentent qu’un peu plus de 112 000 de ces immatriculations. Ce qui positionne finalement Geely, avec le cumul de 4 marques, au même niveau MG sur l’électrique en Europe (à 5 000 exemplaires près). Cela progresse d’année en année, mais on aurait pu s’attendre à un meilleur résultat.
Mieux ou moins bien que les constructeurs historiques ?
Est-ce que 107 000 (pour MG) ou 112 000 voitures électriques (pour Geely) représentent beaucoup en Europe ? Le plus simple est de comparer les chiffres européens de 2023 des autres marques et groupes :
- Tesla : 362 300 VE sur 4 modèles
- La gamme ID de Volkswagen (de ID.3 à ID. Buzz) : 189 802 exemplaires. A l’échelle du groupe Volkswagen entier plus de 440 000 voitures électriques en 2023
- La gamme BMW i : 143 894
- La gamme Mercedes EQ : 102 521
- Le groupe coréen Hyundai Motor : 155 759 véhicules électriques*, dont 80 999 unités pour Kia et 74 760 pour Hyundai (* il manquera quelques exemplaires de Genesis 100 % électrique)
Les autres marques ne permettent pas d’avoir une vision aussi nette sur les résultats des voitures électriques. Le groupe Stellantis doit arriver en seconde place derrière le groupe Vokswagen, mais devant Tesla, selon les informations diffusées par l’entreprise. Le groupe Renault doit dépasser les 150 000 voitures électriques. Sauf méprise, les autres groupes et marques seront en dessous d’un résultat à 6 chiffres. Pour certaines marques japonaises, c’est même assez inquiétant :
- Honda avec 1 912 VE fait moins bien que Nio ou Xpeng
- Toyota avec 16 745 BZ4X ne fait guère mieux que BYD
De nouveaux joueurs, plus qu’un remplacement massif
L’électrique va à jamais bouleverser le paysage automobile européen en introduisant de nouvelles marques. Il reste pour autant difficile d’imaginer que les constructeurs chinois puissent représenter la menace que certains veulent induire en les présentant comme les méchants de l’histoire. Il reste cependant à certaines marques à ne pas s’endormir sur leurs lauriers, s’ils ne veulent pas se faire chasser de l’esprit des acheteurs ou perdre toute compétitivité.
C’est la manière dont l’automobile a toujours évolué au fil des décennies. Au siècle passé, les clients achetaient des véhicules à des constructeurs de proximité, jusqu’à l’introduction de voitures étrangères fabriquées en série et plus abordables (européennes et américaines). Puis, dans les années 80, les constructeurs japonais ont été un nouveau bouleversement : on les présentait comme la menace ultime contre de l’industrie automobile européenne. Rebelote la décennie suivante avec les Coréens. C’est désormais aux constructeurs chinois de venir jouer des coudes pour une place au soleil. Et c’est ce qui met un peu de piquant dans l’histoire automobile et fait progresser cette industrie !
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