Comment Xiaomi a-t-il mis sur le marché une voiture électrique aussi réussie en si peu de temps ? C’est la question que bien des experts de l’automobile se posent encore. Lei Jun, le patron de Xiaomi, a tenu la conférence annuelle de la marque le 19 juillet 2024. Pendant plus d’une heure et demie, l’homme d’affaires est revenu sur la genèse du projet de voiture électrique chez Xiaomi : de la naissance de la SU7 à son implication dans ce projet.
Ce récit, particulièrement détaillé, permet de mieux comprendre comment Xiaomi a réussi ce coup de poker en moins de 3 ans. Lei Jun pourrait presque être décrit comme un « Elon Musk chinois », tant il a été impliqué dans tous les détails du véhicule.
Pourquoi Xiaomi s’est lancé dans la voiture électrique ?
Rien ne prédisposait l’entreprise spécialisée dans les smartphones et autres produits high-tech à lancer sa propre voiture électrique. C’est la décision du gouvernement américain de bannir les téléphones Xiaomi qui a précipité l’entreprise dans une situation de crise.
Il fallait trouver en urgence de nouveaux débouchés à long terme pour l’entreprise et c’est sur la voiture électrique que Xiaomi a arrêté son choix en 2021. N’était-ce pas trop tard pour se lancer ? À cette question, Lei Jun répond « effectivement ». Il faut dire que le marché chinois est déjà encombré de nouvelles marques de voitures électriques. Mais il précise également que la voiture intelligente n’en est qu’à ses débuts, et qu’il compte bien participer à son évolution.
S’intéresser à ce que les clients achètent vraiment
Pour créer sa première voiture électrique, Lei Jun voulait savoir ce que les clients achetaient réellement, et pourquoi. Xiaomi ne voulait pas prendre de décisions sur la base d’études de cabinets marketing déconnectés du terrain, mais plutôt d’un véritable discours non filtré.
Xiaomi a donc commencé par interroger, lors d’entretiens individuels, 300 ingénieurs qui travaillaient dans l’entreprise. La marque voulait comprendre ce qu’ils aimaient dans leur voiture. L’échantillon n’étant pas suffisant, selon Lei Jun, les équipes sont allées interroger des personnes au hasard dans le parking de l’entreprise. Puis lui-même a posé des questions à ses proches et des inconnus.
Alors que le patron de Xiaomi ne conduisait plus depuis des années, il s’est remis à conduire. Il s’est mis en tête d’essayer les voitures pour s’immerger dans le sujet. Lei Jun a ainsi testé plus de 170 voitures différentes : des modèles chinois, mais aussi des voitures européennes, et bien sûr des Tesla. Le patron de la marque a même poussé le curseur plus loin, il s’est formé à la course automobile et a obtenu sa licence de pilote. Certainement, l’idée d’une voiture performante comme la Xiaomi SU7 Ultra était déjà dans un coin de sa tête.
La priorité pour l’entreprise était de comprendre quel budget les acheteurs moyens étaient prêts à mettre, pour quelle autonomie et avec quelles fonctions. Avec ces premières indications, les équipes ont travaillé pour présenter un premier prototype en 2022. De l’aveu du patron, ce n’était pas loin d’être une catastrophe.
C’est alors que le patron a pris une mesure radicale : pendant les 21 jours suivants, les responsables du projet ont tout recommencé à 0, à l’occasion d’une sorte de séminaire intensif. Les discussions ne s’achevaient que si une solution mettant tout le monde d’accord était trouvée. Le résultat, le public le découvrira en décembre 2023 sous les traits de la Xiaomi SU7, et il est bluffant.
Le plus grand test routier pour la SU7
Le design d’une voiture ne fait pas tout, il faut aussi passer l’épreuve du terrain. Pour cela, les constructeurs font généralement rouler plusieurs prototypes dans différentes conditions météo et de route, dans divers pays. Les kilomètres défilent et les modèles sont corrigés en fonction de ce retour d’expérience.
Xiaomi a encore une fois décidé de ne pas faire les choses à moitié. La marque a envoyé pas moins de 576 prototypes sur les routes pour tester absolument tous les aspects de la voiture : autonomie, comportement routier, conduite autonome… Ces modèles d’essai ont réalisé 5,4 millions de kilomètres dans un temps très court.
Lei Jun y a lui-même participé, en réalisant une dizaine de tests. Il a aussi mené un test d’endurance avec un trajet de plus de 1 272 km en solitaire, mais ponctué d’événements en live sur les réseaux sociaux chinois. Ce qui a mis les nerfs de son équipe de relations presse à rude épreuve.
Cela ne se vendra pas…
Lorsque que la Xiaomi SU7 était terminée et prête à être commercialisée, il restait le choix déterminant du tarif de vente. À ce moment-là, Lei Jun raconte qu’il s’est retrouvé face à une vague de scepticisme, qui l’aurait presque fait douter d’avoir choisi une belle berline, façon « voiture de rêve ». Des proches lui disaient que « personne n’achèterait une Xiaomi SU7 face aux autres marques comme Tesla ».
Les constructeurs européens sont aussi confrontés à ce choix délicat, et font des erreurs qui leur coûtent cher plusieurs années après. Lei Jun en est conscient : « Un mauvais prix pourrait être catastrophique. » Apparemment, l’homme d’affaires a réussi à trouver le juste prix. Les clients se sont rués sur le modèle dans les jours qui ont suivi la présentation, commandant la voiture sans même l’avoir essayée.
C’est un soulagement pour le patron, car en plus de fixer le prix, il avait également dû prédire la production annuelle nécessaire : 76 000 unités, ce qui était un pari osé. Un chiffre trop élevé par rapport aux ventes aurait pu mettre la santé financière et la réputation de l’entreprise en péril. Une capacité de production sous-estimée aurait détourné les clients chinois qui ne veulent pas attendre 6 mois à 1 an pour recevoir une voiture.
En 3 ans, c’est impossible !
Le patron de Xiaomi ne cesse de recevoir une question : comment Xiaomi a-t-il réalisé en 3 ans ce que les concurrents font en 10 ans ? Lei Jun ironise souvent en retournant la question : « Pourquoi les concurrents ont-ils besoin de 10 ans, si on a réussi à le faire en 3 ? ».
L’implication sans faille du patron de l’entreprise et des horaires à rallonge doivent faire partie du secret de la réussite d’un tel projet. Le plus surprenant, c’est que Xiaomi n’a pas choisi la facilité. Plutôt que de faire un assemblage de technologies existantes (OEM), l’entreprise a décidé de créer ses propres technologies : moteur, optimisation de la batterie, aides à la conduite, logiciel, plateforme. Gigacasting, etc.
Même si l’observation des concurrents a permis de répliquer des idées, tout est fait maison (ou presque). Dans ce délai si serré, Xiaomi est parvenu à aller au bout de son projet, ce qui mérite qu’on lui tire notre chapeau. Le nouveau constructeur va continuer à faire parler de lui, car plusieurs autres produits sont déjà dans les tuyaux. Ça ne chôme pas chez Xiaomi.
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