Alors que le Mondial de l’Auto a eu lieu à Paris, le journaliste spécialisé dans les voitures électriques et leurs systèmes d’infodivertissement Alexandre Lenoir a soulevé une question importante sur X. Le 16 octobre 2024, il raconte que le capteur photo du téléphone portable d’un de ses confrères a été abîmé. La cause, selon lui : le capteur LiDAR d’une voiture. D’après lui, plusieurs centaines de pixels de son iPhone 16 Pro ont été « cramés ». Comment est-ce possible ?
Comment fonctionne un capteur LiDAR sur une voiture ?
Le terme LiDAR vient de l’anglais « Light Detection And Ranging », littéralement « détection et estimation de la distance par lumière ». Pour savoir quels sont les obstacles et à quelle distance ils se situent, certaines voitures disposent de capteurs LiDAR. Ces capteurs envoient des faisceaux de lumière, dans un spectre proche du visible (souvent de l’infrarouge), qui reviennent ensuite vers cet émetteur. C’est le délai entre l’émission et la réception de la réflexion qui permet de calculer la distance. Tous les capteurs ou presque utilisent un laser.
Ce laser « balaie point par point les différents objets situés dans une scène » en envoyant « des impulsions laser […] dans l’infrarouge proche », écrit la chercheuse en nanophotonique dynamique Christina Kyrou dans un article de The Conversation. Afin de pouvoir les utiliser à plus grande vitesse, les constructeurs se trouvent obligés d’aller plus haut dans la longueur d’onde utilisée : cela permet aussi d’éviter d’engendrer certaines lésions oculaires. Auprès de Trucking Info, le rédacteur en chef de Laser Focus World Jeff Hecht explique que les LiDAR utilisent des lasers à 1 550 nm : à cette longueur d’onde, « le liquide oculaire à l’intérieur du globe oculaire empêche la lumière laser d’atteindre la rétine située au fond de l’œil, qui est de loin la partie la plus sensible de l’œil ».
En faisant des millions de calculs chaque seconde, une voiture est capable de recréer son environnement en 3D (ce qu’on appelle une matrice) : de quoi anticiper les mouvements des piétons et autres voitures, mais aussi de se repérer dans l’espace.
Pourquoi utilise-t-on le LiDAR sur les voitures ?
L’avantage d’un LiDAR sur les voitures, par rapport à une simple caméra, c’est qu’il n’est pas sujet à la luminosité. Quand il fait nuit, une caméra aura bien plus de mal à détecter les obstacles et à les identifier : ce n’est pas le cas du LiDAR. De plus, ces capteurs ont une portée jusqu’à 250 mètres en général. D’autres technologies existent, comme le radar qui s’appuie sur des ondes radio. Si cette technologie tend à se démocratiser, c’est principalement dans le cadre des voitures autonomes. Toutefois, le radar peut être embêté par la météo.
Mercedes, Volvo, Nio… Beaucoup de constructeurs automobiles vont appel à des équipementiers pour les LiDAR. De l’autre côté, il y a des fabricants comme Tesla, qui n’en voient pas l’intérêt et qui ont adopté la solution des caméras. Une technologie moins chère, si elle est suivie d’un savoir-faire logiciel et algorithmique. Le plus souvent, le LiDAR est mélangé à d’autres types de capteurs pour aider la voiture à se repérer et à se diriger.
Les capteurs LiDAR peuvent-ils endommager un capteur photo d’un téléphone ?
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les capteurs photo sont plus sensibles que nos yeux. Un capteur photo convertit les photons qu’il reçoit sur chaque pixel, avec plus ou moins de lumière en fonction du temps de pose. Les capteurs se contentent la plupart du temps de supporter des longueurs d’onde dans le visible, jusqu’à 1 100 nm en règle générale.
Les lasers sont de la lumière, et la lumière dégage de la chaleur. Quand on dit que des pixels d’un capteur sont « cramés », c’est donc littéralement le cas. Les LiDAR peuvent effectivement causer des dommages thermiques à la matrice (capteur) du plan focal d’une caméra.
C’est ce qu’a montré une étude en recherche optique menée en janvier 2024. Elle porte sur les différents types de dommages causés par des lasers réglés à 1 550 nm. Ce que les chercheurs ont montré, c’est que ces LiDAR sont de meilleure qualité que ceux réglés à 905 nm : ils sont « plus dangereux pour les caméras, non seulement pour les caméras utilisées pour la conduite autonome, mais aussi pour les caméras dans les téléphones, les caméras de sécurité, etc. »
Les capteurs photo contiennent du silicium : c’est un minéral qui réagit bien à la lumière et c’est lui qui permet de la « transformer » en signal électrique pour créer une image numérique. Or, ce que montre l’étude (en corrélation avec des études précédentes), c’est que ce silicium peut présenter des imperfections. Et ces imperfections sont généralement responsables des dommages subis par les capteurs, davantage que la conception du capteur lui-même ou que le réglage du laser.
Les dommages dépendent de plusieurs facteurs, dont indéniablement l’intensité et la durée de l’impulsion laser. En règle générale, plus l’impulsion est courte, plus l’intensité est élevée : c’est ce qui offre plus de précision aux mesures. Retenez que plus l’intensité et la durée de l’impulsion sont grandes, plus la chaleur arrive sur le capteur et plus les dégâts sont grands.
L’équipementier automobile Valeo, contacté par Numerama, assure qu’il n’y a pas de danger pour les capteurs photo. Il assure que ses LiDAR ont une longueur d’onde de 905 nm, « de ce fait inoffensive à l’égard des capteurs photo ». C’est même un choix fait par l’équipementier : les LiDAR réglés à 1 550 nm peuvent endommager des caméras. Valeo avait testé cette longueur d’onde, avec « des expériences démontrant ces effets indésirables avec certains prototypes. »
En comparant les ordres de grandeur que Valeo nous a fournis sur ses capteurs LiDAR, avec les ordres de grandeur de l’étude, on se rend effectivement compte que les appareils de Valeo ne sont pas suffisamment puissants pour endommager un capteur photo. L’énergie délivrée par ses lasers n’est pas assez dense, l’impulsion pas assez large et le taux de répétition pas assez grand.
De plus, Valeo rappelle qu’il équipe des voitures de caméras : il ne peut pas prendre le risque de casser ses propres caméras avec ses propres capteurs LiDAR. C’est aussi ça, le danger qui peut peser : les LiDAR peuvent abîmer les capteurs photo de… voitures avec des systèmes autonomes. Pour l’IEEE (Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens), « les caméras utilisées dans les voitures autonomes utilisent des capteurs similaires et vraisemblablement des filtres intégrés aux puces pour bloquer la longueur d’onde de 900 nanomètres largement utilisée par les lidars, mais leur vulnérabilité aux lidars à plus grande longueur d’onde n’est pas connue. »
C’est déjà arrivé : l’histoire de l’appareil photo endommagé au CES 2019
Peu après le CES 2019, Ars Technica rapportait l’histoire de Jit Ray Chowdhury, un ingénieur spécialisé dans les voitures autonomes au sein de la start-up Ridecell. Sur X, il racontait avoir pris des photos de véhicules autonomes avec des LiDAR d’AEye, avec son appareil photo Sony A7RIII.
Mais, après ça, des taches violettes et brillantes sont apparues sur toutes ses photos, avec des lignes horizontales et verticales. « Elles sont gravées dans le capteur », expliquait l’ingénieur à Ars Technica. Malheureusement, ce dernier avait jeté son appareil avant de le faire examiner plus en profondeur. À l’époque, Luis Dussan, le PDG d’AEye, n’avait pas nié que ses appareils pouvaient endommager les capteurs, affirmant simplement qu’il n’y avait aucun danger pour les yeux. Et si vous voulez le fin mot de l’histoire, AEye avait proposé à Jit Ray Chowdhury de lui acheter une nouvelle caméra.
L’ingénieur ne s’était néanmoins pas montré alarmiste : « Les dommages subis par le capteur sont le résultat d’une combinaison de facteurs : intensité, durée, taille, longueur d’onde, nombre de pulsations. » Interrogé par PetaPixel, il racontait avoir « testé et photographié presque tous les LiDAR de près sans que [son] appareil photo soit endommagé. Il est possible que cela ne se produise pas à distance. »
Des dommages qui n’arrivent presque jamais avec des capteurs LiDAR
Le cas de notre ingénieur est pourtant très rare. En cherchant partout sur Internet, le cas d’une caméra endommagée par le LiDAR d’une voiture est presque unique. Des pixels « brûlés » peuvent être engendrés par un LiDAR, mais pas que, comme le rappelle l’International Laser Display Association. Les spectacles avec des lasers peuvent aussi causer des dégâts aux capteurs des téléphones, si le faisceau du laser est orienté directement dans l’objectif. La différence, c’est que la longueur d’onde de ces lasers est située dans le spectre visible : c’est d’ailleurs tout l’intérêt de ces spectacles.
Malheureusement, il n’existe pas de filtre spécial que l’on puisse mettre sur un objectif d’appareil photo pour le protéger contre les lasers. Il y a bien les filtres « ND » (pour densité neutre) qui réduisent la lumière qui arrive sur le capteur, mais ce n’est pas commode du tout au quotidien. Ce qu’on peut vous dire, c’est d’éviter de prendre en photo des LiDAR de près s’ils sont en fonctionnement.
Il n’empêche que la question mérite d’être posée et qu’elle n’a pas été suffisamment traitée par les équipementiers et/ou par la science. Nous avons contacté les principaux fabricants de capteurs LiDAR embarqués sur des voitures électriques, mais pour l’instant, seul Valeo nous a donné une réponse.
Les abonnés Numerama+ offrent les ressources nécessaires à la production d’une information de qualité et permettent à Numerama de rester gratuit.
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l’I.A, contenus exclusifs et plus encore. Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.