Quand il s’agit d’aérospatial et d’automobile, Elon Musk convainc la plupart du temps les experts. Les véhicules Tesla sont des bijoux d’ingénierie, de logiciel et de conduite que la concurrence peine encore à rattraper — sans parler de l’idée d’un circuit de recharge complètement autonome, depuis les panneaux solaires, jusqu’aux maisons et aux voitures. Les fusées de SpaceX ont fait faire un bond en avant à l’industrie et les projets d’Elon Musk vont bien au-delà de ce que les agences et les entreprises privées imaginent à moyen terme.
En revanche, quand il s’agit de discuter des projets de transport en sous-sol, qu’ils viennent de la Boring Company ou des ébauches de l’Hyperloop, les critiques ne manquent pas. D’après les spécialistes du transport urbain, tous les projets d’Elon Musk pour désengorger les villes sont délirants. Délirants, car ils demandent une phase de recherche et développement et une phase de réalisation absurdes par rapport au gain théorique pour les citoyens. Le 18 décembre 2018, alors que la Boring Company inaugurait son premier tunnel pour transporter des véhicules individuels à haute vitesse sous Los Angeles, ces voix se sont de nouveau fait entendre.
1 010 Loop pour arriver à l’efficacité de la ligne 1
Gareth Dennis, ingénieur du rail qui a déjà montré à plusieurs reprises à quel point les projets de l’Hyperloop étaient irréalistes, s’est penché pour l’occasion sur le Loop. En tant que spécialiste des trains, ses indicateurs d’efficacité pour un système de transport s’appuient sur un facteur facilement compréhensible : la capacité qu’un véhicule a à transporter un certain nombre de personnes par heure dans une direction donnée.
Pour Numerama, Gareth Dennis a fait quelques calculs : la ligne 1 du métro parisien qui traverse la métropole d’est en ouest est un exemple d’efficacité pour un transport. En effet, elle permet, d’après les chiffres fournis par la RATP, de transporter à 30 324 passagers par heure par direction. Cela signifie que, avec deux tunnels (l’un vers la Défense, l’autre vers Château de Vincennes), la ligne 1 est capable de transporter 60 600 personnes par heure dans les deux directions.
La ligne 1 de la RATP transporte 30 324 personnes par heure par direction. Le Loop, 60 personnes par heure par direction.
En comparaison, le système nommé Loop par la Boring Company et qui transporte des voitures individuelles sur des rails est capable de transporter 60 personnes par direction par heure. On obtient ce chiffre en prenant le nombre moyen de personne par véhicule individuel, qui est de 1,1.
Dans le cas le plus optimiste, nous dit l’ingénieur, où l’espace dans les voitures serait mieux partagé et qu’elles rouleraient sur un système de tapis roulants (ce qui limite la distance de sécurité nécessaire pour un freinage d’urgence), le Loop pourrait monter à 1 980 personnes par heure par direction. Soit 30 fois moins qu’une ligne de métro moderne comme la ligne 1 parisienne. Dans le pire des cas, il faudrait que la Boring Company creuse 505 tunnels pour arriver à une efficacité de transport comparable à celle de la ligne 1… pour une seule direction.
À ces critiques strictement statistiques, s’ajoute un lot de critiques qualitatives. Dans l’annonce faite le 18 décembre, la Boring Company a précisé que ses tunnels pourraient transporter des véhicules compatibles. Lire, pour l’instant, des Tesla à plusieurs dizaines de milliers d’euros et à l’avenir quelques voitures électriques compatibles — soit, grosso modo, des véhicules coûtant tous un peu plus de 25 000 euros. Cette position très centrée sur les populations les plus aisées avait forcé Musk à un changement de cap : la Boring Company ferait aussi des transports en commun, sortes de véhicules faisant des tours dans le système. On peine, pourtant, à y voir une solution pérenne et qui pourra véritablement désengorger les autoroutes de Los Angeles tant la capacité de ces modules semble faible.
C’est toute la critique formulée par les avocats du rail : s’il faut investir du temps, de la recherche et de l’argent dans une technologie de transport en commun, pourquoi ne pas partir sur une solution existante qui a fait ses preuves ? Et s’il faut innover pour équiper des villes dont l’état des transports en commun est désastreux, pourquoi s’entêter à soutenir des solutions qui, statistiquement, sont condamnées à des plafonds qui ne résoudront pas grand-chose ? La réponse à ces questions se trouve peut-être dans l’un des plans d’Elon Musk. Ou, peut-être, sont-elles trop sérieuses et terre à terre pour un projet né dans un moment d’énervement dans les bouchons ?
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