Dans la rubrique Vroom de Numerama dédiée à la mobilité électrique, nous avons réalisé des dizaines de tests de vélos électriques depuis 2018, en plus de les utiliser dans notre quotidien. Nous essayons les vélos sur plusieurs jours et dans de nombreux cas de figure, pour rendre un avis le plus complet et objectif possible.
Qu’il est difficile de livrer un test du vélo Angell. La presse généraliste s’est très largement enflammée pour le projet de Marc Simoncini, l’un des modèles d’entrepreneur made in France, de « révolutionner le vélo ». Rien que ça. De l’autre côté, la tentation est toujours grande de céder au french bashing : il est vrai, nous sommes culturellement plus volontiers critiques et exigeants envers nos compatriotes qu’envers des entreprises étrangères. Peur de l’échec, critique du succès, mépris pour la réussite : autant de traits que l’on donne bien volontiers au peuple français et qui peuvent ressortir dans l’exercice d’un test.
Dès lors, c’est un jeu d’équilibriste qui s’offre à nous : rejeter les conclusions hâtive de nos confrères béats et garder la tête froide pour ne pas sous-évaluer, par un effet de compensation, un produit qui ne mériterait pas tant de haine. Après 4 jours de circuit urbain et péri-urbain en Angell et des discussions avec le spécialiste vélo de Frandroid qui l’a eu en même temps que nous, nous nous pensons armés pour vous livrer un verdict honnête sur ce vélo.
Angell Bike nous a prêté un vélo Angell noir, sa batterie et son chargeur pour réaliser ce test. Il est commercialisé 2 860 €. Les garde-boue de nos photos sont en option à 89 €.
Angell Bike : du design à la réalité
Le vélo Angell n’est pas un vélo que vous verrez partout. De là à dire qu’il est « le plus beau du monde », comme le demanda Marc Simoncini au designer Ora-Ïto, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Les concepts du Marseillais donnaient à voir un vélo futuriste, aux lignes élégantes. Le résultat final impressionne beaucoup moins. Si l’on voit très vite la pureté du cadre et de la fourche, sans soudure apparente, ou les proportions harmonieuses du vélo, notre œil est immédiatement attiré par la batterie.
Par rapport aux designs, elle se retrouve bien plus massive sur la version finale et n’a pas pu avoir cette forme de réacteur de vaisseau spatial qu’on voyait sur les plans. C’est un monolithe rectangulaire, attaché comme il peut à l’arrière de la tige de selle. En elle-même, elle détonne par rapport au vélo, avec ses finitions plastique vraiment cheap — qu’on ne voit pas sur les photos commerciales du site Angell, où la batterie semble fondue dans la même matière que le cadre. On voit les rainures à l’œil sans forcer et les feux arrières, gros carrés blancs renfermant les diodes, sont mal montés : une rainure déjà sale sépare les blocs de plastique. Quand on sait que cette batterie est le nœud du problème du vélo Angell, on ne peut que regretter qu’un design plus simple et moins aléatoire n’ait pas été choisi.
Côté vélo, on trouve des composants assez classiques. Une fourche en carbone non suspendue à l’avant du cadre alu pour réduire le poids de l’ensemble à 15,9 kg (sans batterie, ce que Angell ne précise pas…) retient des roues de 28 pouces, montées avec des pneus Michelin de 29 pouces. Choisir du 27,5 côté roues aurait probablement permis de monter des pneus plus larges et ainsi réduire les vibrations que l’on sent beaucoup, mais l’entraînement des roues aurait probablement été différent. Car le Angell n’a qu’une vitesse, sur un pignon de 16 dents et un plateau de 42, entraînée par une chaîne. Difficile de comprendre au passage pourquoi Angell n’a pas choisi une courroie sur un vélo comme ça, vendu à ce prix-là.
Les freins à disque hydrauliques permettent un freinage efficace et rassurant par tout temps, même sous la pluie parisienne. L’éclairage, quant à lui, est lié au cockpit du Angell. Cela signifie malheureusement que vous n’aurez pas de lumière si vous ne connectez pas la batterie — ou que vous ne pouvez pas la brancher et la débrancher.
Car voilà, en plus d’être disgracieuse, la batterie du Angell est aussi, en elle-même un énorme défaut de conception. Le vélo ne possède pas de bouton on / off, ce qui signifie que pour profiter de ses fonctionnalités, il faut enlever et remettre la batterie. Imaginez alors le casse-tête pour les ingénieurs : une batterie trop serrée sur son rail, et le simple fait d’allumer son vélo devient une corvée quotidienne pour l’utilisateur. Une batterie trop lâche sur son rail, et elle risque de se déconnecter en roulant.
Notre expérience — et celle que l’on lit dans les groupes d’utilisateurs de vélos Angell que nous fréquentons depuis un an — nous montre que ces deux défauts existent. Nous n’avons pas vécu de déconnexion intempestive, mais enlever et remettre notre batterie nous a demandé un déploiement de force démesuré, qu’il faut répéter à chaque fois que vous laissez votre vélo à peu près 1h30 sans utilisation. Et si vous avez oublié la clef de la batterie ? Eh bien, vous ne démarrerez ni le moteur, ni les feux. Vous serez sur un vélo électrique non assisté, avec simplement le minuscule écran dans le cockpit qui a sa propre batterie de réserve. Pour un vélo qui se vend comme le futur, on aurait au moins aimé qu’il conserve un bouton d’allumage ou invente une manière moins préhistorique de démarrer.
Enfin, il faut dire un mot du cockpit. L’ensemble est élégant et vraiment unique, avec un vélo qui prend vraiment des allures de science-fiction, tout en courbes. Mais, encore une fois, les finitions laissent à désirer : le plastique glossy ne fait pas honneur au cadre et l’écran de 2,4 pouces semble ridiculement petit dans tout cet espace vide. Du gâchis, quand on pense que ce deuxième circuit qui alimente l’écran avec une batterie de secours aurait pu être utilisé comme « réveil » du circuit principal.
Angell sur la route : c’est bien, quand ça marche
Qu’on se le dise d’emblée : un Angell que vous avez réussi à démarrer et qui fonctionne est souvent très agréable à conduire jusqu’à 30 km/h (le pignon choisi vous donnera la sensation de mouliner dans le vide au-delà). L’assistance est énergique comme il faut, même si l’on ne voit pas de grande différence entre les mode Fly Dry (normal) et Fly Fast (Turbo) à l’usage. Nous avons fait notre trajet quotidien avec une moyenne de 21 km/h et sans la moindre fatigue, malgré les nombreuses montées. C’est donc une victoire pour ce vélo petit gabarit à une seule vitesse, qui règle seul (grâce à un accéléromètre et un gyroscope) l’intensité du moteur quand vous tentez un démarrage en côte. Pas de vitesse, pas de complexité : on pédale et on roule. Vite.
Ne vous attendez pas en revanche au pédalage naturel d’un capteur de pression avec moteur dans le pédalier : même le très léger décalage entre votre pédalage et l’ordre donné au moteur, de 3 dixièmes de seconde, se fait sentir. Contrairement aux gammes de moteur Bosch qui équipent beaucoup de vélos urbains, on pousse d’abord sur un capteur de force et on est assistés dans un second temps sur un Angell Bike. Une remarque que l’on ne pensait pas faire à propos d’un vélo qui frise les 3 000 €, mais soit : le Angell compense avec de l’électronique qui fait que, grosso modo, on arrive à se sentir bien sur un trajet.
Mais que de défauts et de frictions inutiles pour arriver à ce moment idéal ! Notre sentiment est que le Angell aurait eu besoin d’une bonne année de R&D en plus. Elle aurait permis d’arrondir les angles et d’arriver sur un marché du vélo connecté avec une proposition où les défauts n’auraient pas été grotesques. En seulement quatre jours d’utilisation, tant de petites choses nous ont sauté aux yeux qu’elles auraient été évidentes pour une marque attentive à ce qui se fait à côté, depuis plus d’une dizaine d’année chez les historiques Moustache, Kalkhoff, O2feel, Riese&Muller et autres Canyon et depuis quelques années chez les VanMoof, Cowboy et autres Iweech.
L’alarme est beaucoup trop sensible
L’alarme du vélo est par exemple extrêmement mal gérée. Elle se déclenche au moindre effleurement, ce qui arrive tout le temps quand une personne gare son vélo à côté de vous. La connexion Bluetooth à un iPhone n’est pas efficace et le vélo a besoin d’une confirmation à l’écran avant de se « lier au compte » de l’utilisateur. Dès lors, à chaque fois qu’on commence à bidouiller notre propre vélo, on se retrouve à déclencher l’alarme. Comble : elle s’est même déclenchée une fois, alors que nous roulions…
Une partie connectée avec d’énormes bugs
Toute la partie connectée du Angell est du même acabit. Quand vous avez fini de remonter votre batterie, avec toute la pénibilité associée, vous aurez encore à choisir le mode Fly Free pour activer l’assistance, ou un itinéraire préenregistré. Si vous utilisez le comodo pour la régler avant d’avoir touché l’écran tactile, une pop-up vous en empêchera. Une action à faire en plus à chaque fois que vous enfourchez votre cycle : quelle hérésie ! D’autant que l’écran tactile est loin d’être irréprochable.
Quand nous avons tourné la vidéo qui accompagne ce test, l’écran a complètement perdu les pédales : il appuyait tout seul sur des touches, allant lui même entre les modes. Plus rien ne répondait. Pour le sortir de ce cycle infernal, nous avons dû ruser : activer l’alarme grâce à l’application, la déclencher et reconnecter le smartphone pour l’éteindre. Les comodos ont pu être réutilisés avec cette manipulation ésotérique et nous avons pu réutiliser l’écran quelques heures après. Impossible de comprendre ce qu’il s’était passé.
Au-delà de ces énormes bugs, plusieurs petites frustrations vont ponctuer votre journée sur un Angell. Le vibreur intégré au volant, qui n’est déjà pas confortable avec ses poignées dures qui deviennent collantes au soleil, se déclenchera pour vous indiquer de changer de direction quand le GPS est activé. Trop fort, trop cheap, il agace très vite et, comme la navigation est loin d’être bonne (par rapport aux apps dédiées à l’usage), vous l’abandonnerez rapidement. Même chose pour la sonnette, qui est électronique et fait un petit sifflement suivi d’un bip strident. Personne ne l’entend — où ne l’identifie, ce qui revient au même. VanMoof a eu le même problème sur ses premiers modèles et a vite compris qu’il fallait, au mieux, imiter le « ding » d’une cloche pour qu’un passant ou un véhicule associe un son à la présence d’un vélo. C’est bien simple : personne ne vous entend arriver en Angell.
On peut également citer les garde-boues qui ne servent à rien (pas assez larges) et qui sont vendus une fortune, l’impossibilité de mettre un porte-bagage (encore cette maudite batterie), l’absence de béquille associée au guidon courbé qui fait que le vélo tient très mal posé sur un mur, le mode Fly Eco qui coupe l’assistance à 15 km/h (pourquoi ne pas accompagner doucement jusqu’à 25 ?), les finitions (la peinture a tendance à rapidement s’écailler), le poids du vélo qui est concentré à l’arrière (ce qui rend impossible de le porter guidon en avant)… bref, la liste est longue et la plupart des reproches ne sont pas des détails. À 2 800 €, tout compte, et en particulier le cœur du vélo.
Quand on voit que, pour le même prix, on peut acheter un Xroad 1 chez Moustache ou un Roadlite:ON chez Canyon et que ces deux modèles frôlent le rapport qualité/prix parfait dans leur catégorie, avec des composants fiables produits par des marques installées, on se demande pourquoi s’embêter avec un Angell. Vous n’êtes pas des bêta-testeurs : vous êtes des clients qui avez déboursé des milliers d’euros pour arpenter la ville sans vous poser de question.
Angell aurait-il pu éviter les soucis avec son vélo ?
Le pire, quand on vient à trouver autant de défauts à un vélo que l’on a par ailleurs apprécié chevaucher, c’est qu’on se dit que l’entreprise aurait pu facilement faire une proposition honnête. Le marché du vélo électrique n’est pas neuf — quoi que certaines startups qui le rejoignent tentent de faire croire — et il aurait fallu à Marc Simonicini et les siens un petit peu plus de temps pour en apprécier la globalité. Avec cela, nous sommes sûrs que les plus gros problèmes auraient été évités. Ils sont tous graves et montrent une sortie de l’objet dans la précipitation.
- La batterie. Elle est au cœur des ennuis du vélo. Elle casse ses lignes élégantes, elle est massive, dans un plastique luisant fort peu rassurant et son comportement est absurde. Elle déséquilibre le vélo et, parfois, se déconnecte sans crier gare. Remballer l’idée d’Ora-Ïto et proposer une batterie a minima dans le prolongement de la tige de selle ou dans le cadre aurait permis de régler bien des ennuis. Avec un bouton « on / off », bien entendu.
- L’aspect connecté. Difficile de faire une interface efficace pour vélo. Le cycliste doit garder les yeux sur la route et les professionnels du logiciel — Apple, Google et des entreprises qui développent des GPS depuis des années — ont une avance monumentale. Peut-être aurait-il fallu abandonner entièrement la partie « écran tactile » : elle n’est pas au niveau d’exigence d’un utilisateur de smartphone. L’écran minuscule rame (quand il ne bug pas complètement), l’interface est lourde, le GPS est au mieux moyen. Comble : à l’opposé, l’application mobile Angell est particulièrement bien développée, réactive, efficace et bien pensée. On se dit qu’un support smartphone avec une prise USB pour le recharger aurait mieux fait le travail que cette électronique embarquée bas de gamme. Qui, en plus, ajoute un composant qui sera bien vite obsolète si Angell revoit sa copie et équipe ses prochains vélos d’un meilleur outil…
- Les défauts de jeunesse d’un vélo. Dureté de la selle et des poignées, matériaux collants au soleil, peinture qui saute, pas de béquille, vélo déséquilibré quand on le porte, aucune suspension qui peut atténuer les vibrations et amoindrir la fatigue musculaire, sonnette inaudible, modes d’assistance à repenser… de nombreux petits défauts que les fabricants historiques de cycles ont gommé de leur cahier des charges depuis de nombreuses années ont échappé aux équipes d’Angell. Une version mieux réfléchie du vélo aurait permis de les gommer.
Compte tenu de tout cela, on ne peut que regretter qu’Angell ait sorti une « version brouillon » de son vélo. En face d’un VanMoof Electrified de première génération ou des premiers Cowboy qui cumulaient les défauts, le débat aurait été différent. En 2021, les nouveaux entrants du marché de l’électrique ont déjà peaufiné leur offre et les géants du secteur survolent la compétition avec des modèles non connectés mieux finis, mieux équipés, plus durables (car réparables facilement).
Proposer ce résultat à ce prix premium, c’est une faute. Mais la faute n’est pas un échec définitif : Angell lève encore des millions et a les cartes en main pour proposer un vélo connecté digne de ce nom, en revoyant sa copie en profondeur. Le chantier est colossal, mais il ne devrait pas effrayer un entrepreneur. Au boulot !
Le verdict
Angell Bike
Voir la ficheOn a aimé
- Bonne assistance électrique
- Les clignotants
- L'application
On a moins aimé
- La batterie au cœur des problèmes
- L'expérience globale très frustrante
- Des erreurs monumentales sur un produit vendu à un prix élevé
Le vélo Angell a fait couler beaucoup d’encre numérique, signe d’une campagne marketing maîtrisée. Mais après des déboires pour livrer les premières unités produites dans les usines du spécialiste de l’électroménager Seb, le vélo est à des lieues de tenir les promesses de ses fondateurs. Même si on accepte l’idée qu’un vélo connecté a sa place sur le marché, le Angell est trop mal fini et mal pensé pour faire de l’ombre à ses rivaux, qu’on les nomme VanMoof, Cowboy ou Iweech.
Sur un secteur bien plus grand du vélo électrique, où règnent des marques prestigieuses et dont le savoir-faire a été peaufiné pendant de nombreuses années, le vélo Angell est au mieux une version brouillon d’une nouveauté. Un grand plaisir quand il fonctionne, entaché par tant de problèmes et de frustration qu’on se demande si des spécialistes du vélo ont participé à sa conception — ou ont été écoutés.
Contre l’impatience d’un marché post-covid avide de vélo électrique, Marc Simoncini et sa bande devront aller très vite vers une nouvelle version du produit, qui sera, on l’espère loin de l’expérience Angell actuelle.
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