Le dernier rapport de l’IFPI note une progression du marché de la musique dans plusieurs pays clés, comme la Suède ou le Royaume-Uni. Cependant, si l’organisme en charge de défendre les droits des maisons de disque affirme que le durcissement législatif est à l’origine de ce « retour à la croissance », il oublie de mentionner d’autres facteurs, comme le développement des offres légales alternatives et de la montée en puissance des autres moyens de piratage.

Comme chaque année, l’IFPI a publié son rapport sur l’état de l’industrie du disque à travers le monde. Et comme à chaque fois, l’organisme chargé de préserver les droits des maisons de disques a cherché à saisir les raisons qui, selon lui, affecte depuis plusieurs années ce marché. Cependant, la dernière publication de l’International Federation of the Phonographic Industry sur ce sujet tranche sensiblement avec les précédents rapports.

Et pour cause. Selon les conclusions de l’IFPI, pas moins de treize pays ont enregistré un « retour à la croissance » dans le secteur musical. Cela concerne des pays aussi divers que l’Australie, le Brésil, la Corée du Sud, le Mexique, le Royaume-Uni ou encore la Suède. Une situation évidemment vue avec plaisir des ayants droit, qui estiment que c’est bien le durcissement législatif qui a permis le retour des consommateurs.

« Les marchés de la Corée du Sud et de la Suède en particulier sont marqués par un fort retour à la croissance, montrant ainsi qu’un renforcement de l’environnement juridique peut aider favorablement les ventes légales de musique » note l’IFPI sur son site web. Deux exemples que l’organisme n’a pas choisi par hasard. En effet, ces deux pays ont par le passé fait passer des lois anti-piratage particulièrement draconiennes.

La Suède par exemple a transposé l’année dernière une directive européenne sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle (IPRED pour Intellectuel Property Rights Enforcement Directive). Celle-ci donne de nouveaux moyens aux ayants droit, en leur permettant d’exiger certaines informations personnelles sur les individus suspectés d’enfreindre le droit d’auteur afin de les poursuivre à travers le système judiciaire.

Le durcissement de la politique anti-piratage en Suède s’était également manifesté à travers le procès contre les administrateurs de The Pirate Bay. On se souvient des lourdes peines prononcées en première instance, puisque les quatre accusés avaient été condamnés à un an d’emprisonnement et trois millions d’euros de dommages et intérêts. Le motif était clair : ils avaient fourni illégalement un service de recherche de contenus contrefaits.

À l’inverse, l’IFPI a souligné que les pays qui n’ont pas « mis à jour » leur droit national ont continué d’enregistrer une baisse des ventes dans le secteur de la musique. C’est le cas de l’Espagne et du Canada, deux pays souvent présentés comme particulièrement laxistes en matière de protection des droits, et ayant une tendance trop marquée à protéger les droits des internautes, même lorsqu’ils s’adonnent à du piratage.

Comme nous l’avions expliqué auparavant, l’Espagne n’est pas vraiment le chantre de la lutte anti-piratage. La situation est telle que des ayants droit locaux ont menacé de poursuivre le gouvernement pour négligence. Une forme de jurisprudence s’est également installée, puisque de nombreuses décisions de justice ont été favorables aux internautes, comme le jugement d’un magistrat espagnol légalisant le partage via P2P ou encore l’opposition des opérateurs téléphoniques et de certaines personnalités politiques espagnoles et européennes au principe de la riposte graduée. Sans parler du projet gouvernemental de faire de l’accès à Internet en haut-débit un droit, histoire de couronner le tout.

Cependant, l’IFPI s’est bien gardé de présenter les choses ainsi. L’organisation a plutôt décrit ces pays comme n’étant pas alignés sur les « standards internationaux« . Un clin d’oeil involontaire au projet de traité international ACTA ? Depuis la publication de la version consolidée du texte (notamment la section concernant Internet), les choses se sont accélérées pour installer l’accord commercial anti-contrefaçon dans les législations nationales. Il est prévu qu’un texte final soit signé par les négociateurs dès cette année, et qu’il soit présenté à la Commission Européenne et au Conseil européen fin 2010, pour une ratification courant 2011.

Cependant, l’étude de l’IFPI est encore une fois à sens unique. Certes, il n’est pas impossible que les modifications législatives aient entrainé une relance de la consommation de la musique dans certains pays. Cependant, ce retour à la croissance ne peut pas être que le fait uniquement d’un durcissement législatif. Preuve en est, de nouveaux modèles sont apparus ces dernières années, comme Spotify en Suède ou Deezer et Jiwa en France.

Spotify, par exemple, repose sur un modèle économique très spécifique, puisqu’il s’agit du freemium. Concrètement, il propose à la fois un accès gratuit à un service et une offre payante (à 9,99 euros par mois) pour bénéficier de fonctionnalités et avantages supplémentaires (mode hors-ligne, meilleure qualité d’écoute, fonctionnalités pour téléphone portable, absence de publicités sonores…).

Si le modèle économique reste fragile, il n’en demeure pas moins qu’un accès gratuit, légal, de qualité et soutenu par les ayants droit est la meilleure façon d’inciter les internautes à se tourner à nouveau vers des solutions légales. Pour Spotify, le pari est réussi, même s’il cherche à convertir encore plus d’utilisateurs (7 millions à ce jour) en abonnés (320 000 à l’heure actuelle), pour assurer sa pérennité.

De plus, l’IFPI semble omettre que si les législations deviennent plus dures, cela ne signifie pas pour autant que le piratage se casse la figure. L’année dernière, pour prendre à nouveau l’exemple de la Suède, l’IPRED avait entrainé une chute d’environ un tiers du traffic global d’Internet en Suède dès le lendemain de l’entrée en vigueur de la loi. Cependant, cette baisse ne dura qu’un temps puisque le trafic a rapidement retrouvé son cours normal.

Ce durcissement a entrainé des conséquences collatérales néfastes pour l’IFPI et les ayants droit en général, puisque cette loi a accéléré le succès du Parti Pirate aux élections législatives européennes. Les internautes suédois n’ont rapidement plus eu peur de la loi, dont ils contestent la légitimité sociale, et ont adopté massivement des techniques alternatives de téléchargement, notamment en payant des abonnements à des VPN qui les mettent à l’abri des chasseurs d’adresses IP.

Certes, plusieurs études et sources ont mis en avant que le partage de fichiers a sensiblement augmenté, tantôt que la consommation légale de musique ou de vidéos a elle-aussi sensiblement augmenté. Mais à quel prix ? Tout ce que pouvait dès lors faire l’IFPI, c’est d’applaudir des deux mains l’augmentation de 10 % des ventes de musique en Suède en 2009. Et ce constat peut se voir dans d’autres pays, comme la France.

Début mars, nous évoquions une étude conjointe du laboratoire M@rsoin et de l’université de Rennes, qui affirmait que le piratage avait augmenté significativement suite à la promulgation de la loi Hadopi. Selon les conclusions des chercheurs, le nombre des utilisateurs des techniques de piratage ignorées par l’Hadopi a nettement progressé, délaissant les réseaux peer-to-peer classiques.

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