Parmi les différentes techniques de téléchargement qui rendent l’Hadopi aveugle, les newsgroups tiennent une place de choix. Relativement peu coûteux, ils permettent de télécharger à grande vitesse une quantité très importante de contenus récents, sans que personne sauf le FAI et l’hébergeur des newsgroups ne puissent savoir qui télécharge quoi. Et encore, un nombre croissant de fournisseurs de newsgroups propose désormais des forfaits de téléchargement illimité qui permettent aussi de chiffrer les communications en SSL, pour qu’absolument plus personne ne puisse savoir ce qui est transféré.
Avec le protocole Usenet, les contenus de tous les serveurs de newsgroups sont dupliqués automatiquement, de sorte qu’un contenu envoyé par un utilisateur sur un newsgroup par l’intermédiaire d’un serveur se retrouve rapidement propagé sur l’ensemble des autres serveurs. Ce protocole fait qu’il est techniquement impossible de mettre fin à la diffusion des fichiers en attaquant tel ou tel fournisseur de newsgroups. Les condamnations successives de Usenext, par exemple, n’ont rien changé.
Dans leur lutte continuelle contre le piratage, les ayants droit ont concentré ces derniers mois leurs attaques sur les sites qui permettent de trouver les fichiers disponibles sur les newsgroups. C’est le rôle des sites d’indexation Usenet, qui ont fleuri pour faciliter le téléchargement sur les newsgroups. Ils listent les fichiers disponibles et créent des liens pour chacun d’entre eux, sous la forme de fichiers .NZB que reconnaissent certains clients Usenet comme Grabit. Ils sont aux newsgroups ce que les .torrents sont à BitTorrent, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas en soi de contenus piratés, mais qu’ils offrent toutes les indications techniques aux logiciels de téléchargement compatibles pour télécharger le fichier visé.
C’est ainsi que des sites comme Allonews ou Usenet.com ont déjà été poursuivis, et que la semaine dernière c’est le plus gros d’entre tous, Newzbin, qui a été condamné par la justice britannique. Le site accessible sur inscription était poursuivi par la 20th Century Fox, Universal, Warner Bros., Paramount, Disney, et Columbia Pictures, qui lui reprochaient d’inciter ses membres à pirater des films, et de faciliter activement la violation de droits d’auteur.
Appliquant une jurisprudence désormais constante, le tribunal britannique n’a pu que prononcer la condamnation des trois co-administrateurs qui étaient poursuivis. Comme nous l’avons vu dans l’affaire IsoHunt ou dans la relaxe du créateur de Winny au Japon, ce sont les agissements qui visent volontairement à faciliter le piratage qui sont recherchés. Il s’agit d’un critère fixé par la Cour Suprême des Etats-Unis dans l’affaire Grokster il y a cinq ans, et qui sont désormais admis par tous les tribunaux. C’est aussi sur ce critère que Kazaa avait été condamné en Australie, et sur cette même base qu’en France des ayants droits espèrent faire obtenir des jugements favorables contre LimeWire, Shareaza et Vuze (anciennement Azureus).
En l’espèce, le tribunal n’a pas eu à chercher bien loin pour trouver les preuves d’un agissement coupable de la part de Newzbin. Loin de se comporter en intermédiaire technique neutre et exhaustif à la Google, le site classait ses fichiers NZB dans des rubriques (Anime, Logiciels, Livres, Consoles, Emulation, Jeux, Films, Musique, PDA, TV…) et sous-rubriques (CAM, Screener, Telesync, R5 Retail, Blu-Ray, DVD, HD-DVD DivX, XviD…), dont l’intitulé laissent peu de doute sur la nature des fichiers référencés. Par ailleurs, des fiches détaillant le contenu référencé pointaient vers des liens tels que la base IMDB ou VCDQuality pour que l’internaute puisse obtenir des informations sur les films référencés, et même vérifier la qualité d’un screener.
Le juge a aussi estimé qu’en choisissant d’indexer des newsgroups comme alt.binaries.warez, Newzbin savait très bien ce qui s’y trouvait, le terme « warez » étant utilisé depuis de très nombreuses années pour qualifier les fichiers piratés. Il aurait également encouragé certains ses membres à rechercher et indexer manuellement des films protégés par le droit d’auteur.
Il a égalelement reproché aux administrateurs de Newzbin d’avoir volontairement complexifié la procédure permettant aux ayants droit de demander le retrait de certains liens, et de ne pas avoir filtré la liste des films ou séries TV proposées dans les sections idoines, pour écarter les œuvres ostensiblement piratées.
Tout cela mis bout à bout, il faisait peu de doutes que Newsbin soit condamné, sans même avoir à examiner la nature commerciale du site, qui a réalisé un chiffre d’affaires de plus d’un million de livres sterling en 2009.
En pratique, ces condamnations constituent surtout autant de manuels successifs à destination des éditeurs qui seraient tentés de créer leurs propres sites de liens BitTorrent ou Usenet. Ils montrent tout ce qu’il ne faut pas faire, pour éviter au mieux des condamnations. Il est donc probable qu’en bout de course, ces jugements ne fragilisent pas le piratage, mais au contraire le renforcent. Tout comme la jurisprudence, il s’agit là aussi d’une constante depuis la condamnation de Napster il y a dix ans.
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