Alors que le Parlement Européen avait voté il y a plus d’un an l’allongement de la durée de protection des droits des producteurs et des artistes interprètes, certains pays font blocage et permettent à des oeuvres majeures de passer dans le domaine public.

Les temps sont durs pour les majors de l’industrie du disque sur le front du lobbying européen. Autrefois, il suffisait d’organiser quelques dîners mondains, de lancer quelques invitations flatteuses en compagnie de stars du show-business, et l’on parvenait sans grand mal à convaincre les parlementaires de voter tout et surtout n’importe quoi en matière de droits d’auteur. C’était la grande époque, celle où Internet n’avait pas encore permis au public de découvrir toute l’injustice d’un droit qui a perdu depuis longtemps tout sens de l’équilibre, et de s’organiser pour s’y opposer.

Ces derniers mois, les lobbyistes de Bruxelles ont enregistré l’arrivée d’un député pirate, vécu la bataille de l’amendement 138, constaté l’adoption écrasante du rapport Lambrinidis contre la riposte graduée, vu l’ACTA se prendre une gifle, et même vu le vote du rapport Gallo reporté à la rentrée alors que les choses semblaient entendues.

Seule lumière au tableau pour les partisans d’un droit d’auteur toujours plus orienté contre le droit du public, et non des moindres : l’extension de la durée de protection des droits voisins.

On se souvient en effet qu’après un âpre débat, le Parlement Européen avait accepté en 2009 de voter une directive pour faire passer la durée de protection des droits des maisons de disques et des artistes interprètes de 50 ans à 70 ans après l’enregistrement. C’était moins que les 95 ans souhaités par les lobbys, mais déjà beaucoup trop au regard du rapport Gowers commandé par la Grande-Bretagne en 2006, qui concluait qu’une extension de la durée de protection aurait pour effet d’augmenter le prix de l’accès aux œuvres pour les consommateurs, de freiner la concurrence, et d’avantager ceux qui possèdent les plus gros fonds de catalogue, c’est-à-dire les majors du disque.

C’était énorme, surtout, au regard de cette étude qui calculait que la durée optimale de protection des droits des auteurs et des compositeurs serait de 14 ans après la création de l’œuvre, et qu’au delà les effets de la protection prolongée de l’œuvre sont plus négatifs pour la société que les effets positifs de son passage dans le domaine public.

Or dans un article publié vendredi, L’Express écrit que l’adoption définitive de la directive de 2009 « se heurte aux refus du Luxembourg, de la Suède ou encore de la Roumanie« , qui ne veulent pas la ratifier. La présidence espagnole de l’Union européenne a échoué à faire le forcing, et « la Belgique, qui vient de prendre la présidence européenne, sera suivie par la Hongrie au premier semestre 2011, et toutes deux sont défavorables à tout changement« .

Ainsi, alors qu’ils devaient bénéficier d’un second souffle de 20 ans, certains tubes de Johnny Hallyday, de Charles Aznavour ou de Nana Mouskouri sont en train de passer dans le domaine public. Idem bientôt pour les vaches à lait musicales que sont les titres des Rolling Stones ou des Beatles, ou le catalogue de Claude François, qui ne pourront toujours pas cependant être téléchargés et partagés librement. Il faut noter en effet que seuls les droits sur les enregistrements sont concernés, pas les droits sur les paroles ou les mélodies qui restent opposables 70 ans après la mort de l’auteur.

Interrogé par L’Express, l’Adami qui gère en France les droits des artistes-interprètes ressort l’argument largement usité de la retraite, qui fait passer le droit d’auteur pour un droit à une rente à vie. Ou un droit à la paresse. « Nous payons chaque année 50 000 artistes, quelle que soit leur notoriété. Et, avec l’allongement de la durée de vie, il est normal d’allonger la durée des droits. On ne renoncera pas« , explique l’organisation.

L’infatigable Pascal Nègre – le président d’Universal Music France – utilise pour sa part un argument plus original, qui méritera d’être repris pour défendre le P2P et plus généralement le droit de diffuser les œuvres librement. « Il n’y a plus de travail de mémoire » de la maison de disques lorsqu’elle n’est pas incitée à « faire des efforts de marketing pour mettre en avant de vieux titres remixés« , regrette ainsi M. Nègre. Lequel a oublié qu’à l’origine le droit d’auteur n’est pas accordé pour saluer la mémoire des vieux, mais pour encourager la jeunesse (ou les anciens) à créer toujours de nouvelles œuvres pour enrichir la culture nationale. Or on n’est jamais mieux incité à créer de la nouveauté que lorsque seule la nouveauté paye.

Ce que L’Express résume parfaitement dans cette magnifique conclusion :

« Les industriels et les interprètes feraient mieux de préparer leur avenir », s’emporte un bon connaisseur du secteur. Et, peut-être, de méditer les paroles d’Edith Piaf : « Non, rien de rien, non, je ne regrette rien ! C’est payé, balayé, oublié, je me fous du passé ! » Encore une chanson de la Môme qui tombera cette année dans le domaine public.

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